Le glossaire ci-dessous évoque brièvement des auteurs importants, des notions centrales, ainsi que des ouvrages, des lieux ou des événements notables.
Glossaire (partie 1) : A à C
Académie Jixia (稷下學宮, fi n du IVe av. J.-C./221 av. J.-C.)
Principal centre intellectuel de la période des Royaumes combattants (centre situé dans l’État de Qi au Shandong). Les débats de l’académie Jixia eurent un écho dans tous les courants de l’époque).
Bouddhisme en général
(de façon très synthétique… et nécessairement caricaturale)
Le bouddhisme est un système de pensée et une religion fondée par Siddharta Gautama Sakyamuni (Inde, VIe av. J.-C. d'après la tradition, Ve selon les historiens actuels).
Au fondement du cheminement proposé par le bouddhisme, on trouve les « quatre nobles vérités » (catvāri āryasatyāni) qui s’imposent comme un diagnostic accompagné d’un remède :
- Première vérité : Tout est souffrance (duḥkha). Cette souffrance physique et mentale pouvant à la fois désigner l’imperfection, l’insatisfaction, l’impermanence.
- Seconde vérité : cette souffrance a des causes. Elle trouve principalement ses origines dans la taṇhā, que l'on peut traduire par la "soif", "l'avidité", le "désir", c'est-à-dire en fait l'attachement aux choses temporelles. Cet attachement provient lui-même de l'ignorance de la véritable nature des choses et de l'esprit. En premier lieu, cet attachement provient de la croyance illusoire que nous possédons un Moi.
- Troisième vérité : il existe un état de santé où, l'ignorance étant abolie, cette soif ne s'exprime plus et ne donne plus naissance aux différentes formes de souffrance. Il y a donc cessation de la souffrance.
- Quatrième vérité : le remède. Pour retrouver cet état de santé, il convient de suivre une Voie, une discipline de vie déclinée en huit "branches" : "l'Octuple Noble Sentier". Cette voie met fin à l'ignorance et au désir. Cet octuple sentier désigne : la compréhension juste, la pensée juste, la parole juste (ces trois premiers buts faisant partie du domaine de la connaissance et de la sagesse), l'action juste, le mode de vie juste, l'effort juste (ces trois buts relevant des pratiques morales), l'attention juste, la concentration juste (ces deux derniers éléments se rapportant à la discipline méditative).
Notons que le suivi de cet octuple sentier implique notre pleine liberté. Pour cette raison, selon la doctrine bouddhiste, le karma (qui désigne nos actions physiques, verbales et mentales) est lié à nos intentions. En ce sens, nos bonnes actions et intentions créent des répercussions positives (comme une graine donnant de bonnes pousses), mais les rétributions néfastes liées à nos actions passées ne nous condamnent jamais définitivement. Il n’y a pas de fatalisme ici. Nous pouvons réagir face aux répercussions de nos actions passées. La loi de rétribution karmique est donc un déterminisme au sein duquel nous avons un rôle à jouer.
Ensuite, en suivant cet « octuple sentier », on peut chasser la confusion et l'illusion pour atteindre l'état d'éveil, l’illumination (le bodhi). Ainsi, la souffrance et le cycle des renaissances (le samsara) seraient brisés. Le but ultime est donc « la délivrance », à la fois de notre ignorance et de notre souffrance (le terme nirvana, difficilement traduisible, désignant tout cela à la fois : fin de l’ignorance, extinction de l’illusion du soi, délivrance, détachement).
Précision sur le cycle des renaissances : précisons à ce niveau que si le samsara est un concept en apparence commun à l’hindouisme et au bouddhisme, il ne peut être compris de la même façon, puisque l’originalité du bouddhisme est justement de rejeter l’idée d’un soi, d’une âme (l’ātman de l’hindouisme), ce qui condamne donc l’hypothèse d’une renaissance véritable du « moi ».
Contrairement à l’hindouisme, le bouddhisme ne considère donc pas qu’une « âme » traverse le cycle des renaissances, chaque être n’étant qu’un processus impersonnel. C’est la doctrine de l’anātman (par opposition à la doctrine hindoue de l’ātman). Selon la théorie bouddhiste de l’anātman, l’être humain se réduit à cinq agrégats (skandha) de phénomènes (forme corporelle, sensations, perceptions, idées, conscience). Le Moi est donc une illusion que l’on crée en projetant une unité durable sur ces cinq agrégats. Mais cette illusion de moi perdure à travers le cycle de la transmigration (samsara) tant que l’état « d’éveil » n’est pas atteint (moment où l’illusion cesse).
A partir de ce socle commun, le bouddhisme va se scinder en différents courants. Les plus connus sont :
Les scissions à l'origine de ces différents courants s'expliquent par des querelles de nature à la fois métaphysique, morale et politique. Comme il est impossible de les résumer ici, nous nous contenterons d'insister sur les spécificités du bouddhisme Mahāyāna qui est celui autour duquel vont se développer les écoles chinoises.
Le Mahāyāna se caractérise notamment par le rôle central qu’il accorde à deux concepts (déjà présents dans le Theravāda, mais sous une forme différente) :
Le Bodhisattva qui désigne dans le bouddhisme du Mahāyāna un être qui se retient d’entrer lui-même dans le nirvana pour aider tous les autres êtres à l’atteindre. En effet, le Mahāyāna conçoit l’éveil comme une possibilité pour tout être vivant (contrairement au Theravāda, qui est pour cette raison nommé de façon critique Hînayāna, c'est-à-dire "petit véhicule"). En conséquence, le Bodhisattva accompagne tous les êtres sur le chemin de l’éveil.
La vacuité (Shûnyata) : Concept particulièrement difficile à définir, la vacuité désigne dans le Mahāyāna le caractère impermanent de toute chose. Mais elle n’évoque pas un néant situé en-dehors ou en-deçà du monde des phénomènes. Elle caractérise la nature même des phénomènes. En effet, les phénomènes étant le résultat d’une interdépendance de causes et de conditions, il n’y a pas de noyau dur du réel, pas d’élément stable qui existe « en soi », c’est-à-dire en dehors de cette interdépendance de conditions. Tout est donc vacuité au sens où il n’y a pas d’essence objective des choses, tout est en mouvement, en transformation et le réel compris comme un ensemble d’entités matérielles stables n’est qu’illusion. Cela ne signifie pas qu’il n’existe rien – tentation nihiliste que récuse cette interprétation de la vacuité – mais que rien n’a de permanence (c’est plutôt donc un refus de l’éternalisme et de l’essentialisme).
Bouddhisme chinois
En Chine, le bouddhisme est introduit au cours du Ier siècle de l'ère chrétienne. Les différences culturelles entre l’Inde et la Chine, ainsi que les grandes difficultés de traduction (du sanskrit au chinois classique), ont fait qu’au départ la conception chinoise des thèses bouddhistes s’est fortement mélangée au taoïsme, en dépit de différences importantes entre les deux. Mais à partir des traductions de Kumārajīva (début du Ve siècle) puis du voyage célèbre du moine XuanZang (玄奘, 602-664) parti jusqu’en Inde pour ramener puis traduire le corpus bouddhiste, le bouddhisme chinois parvient à sa maturité et se démarque tout à la fois du taoïsme et du bouddhisme indien pour trouver sa propre spécificité.
Quelques écoles du bouddhisme chinois :
L’école Jingtu (Jingtu 净土) dite école de la terre pure : fondée au Ve/VIe siècle, l’école bouddhiste dite de la terre pure est centrée sur la foi et la dévotion à Amithaba (無量光佛 wúliàngguāng fó), le « Bouddha de l'éternelle lumière » (bouddha qui a comme particularité de refuser d'accéder à l'Éveil avant d’avoir sauvé tous les êtres).
Les pratiques de cette école consistent surtout à prier et réciter le nom d’Amithaba avec pour espérance d’accéder après cette vie au royaume de ce bouddha, la « Terre pure Occidentale de la Béatitude » (Xīfāng jílè shìjiè, 西方極樂世界), qui serait un monde parfait sans souffrance et situé par-delà le cycle des transmigrations (samsara).
L’école Tiantai (天台,Tiāntái) : fondée au VIe siècle, l'école Tiantai insiste sur l’idée que tout homme possède la nature de Bouddha et peut atteindre l’éveil. Elle affirme aussi que cet éveil peut être subit et ne nécessite pas nécessairement de longues pratiques graduelles.
L'école Huayan (華嚴 huáyán) : Fondée au VIe siècle, cette école, comme l’école Tiantai, affirme que tout homme possède la nature de Bouddha et peut atteindre l’éveil sans passer par plusieurs vies d’ascèse. Par ailleurs, elle insiste sur l'harmonie du monde, sur le fait que toutes les parties de l’univers sont reliées les unes aux autres et que tous les phénomènes s'interpénètrent.
L’école Chan (禪) – devenue l’école Zen en japonais
S’il y a eu plusieurs courants du bouddhisme chinois en dehors de l’école chan, cette dernière est certainement l’une des plus originales (même si elle est aujourd’hui bien plus populaire au japon – bouddhisme Zen – qu’en Chine).
Cette école fondée au VIe siècle insiste beaucoup sur l’importance de l'expérience directe de l'Éveil par les méthodes les plus simples possibles, notamment certaines pratiques méditatives (le caractère chan 禪 est d’ailleurs une transcription en chinois classique du sanskrit dhyana, souvent traduit par « méditation silencieuse »).
Au VIIe siècle, une querelle opposa le « chan du Sud » (représenté entre autres par les moines Huìnéng 惠能 et Shen-hui 神會) qui prônait la perspective d’une illumination subite et le « chan du nord » qui estimait qu’il fallait de nombreuses années d’ascèse pour parvenir graduellement à l’éveil. Cette discussion entre « subitistes » et « gradualistes » restera fameuse dans l’histoire de la pensée chinoise.
A partir du IXe siècle, l’école Chan connait une division en deux écoles (encore très présentes au Japon) :
- L’école Linji (connue au japon sous le nom d’école Rinzai) : Cette école du Chan, fondée au IXe siècle et qui tire son nom du moine Línjì Yìxuán 臨済義玄, défend un rejet du culte, des rituels et des discours et propose l'utilisation de méthodes d'« éveil » déconcertantes. Par exemple, Linji tentait de surprendre le disciple au moyen de cris, ou même de coups, afin de briser ses barrières mentales pour l’amener à l’illumination instantanée.
- L'École Caodong (曹洞宗 caodongzong) plus connue aujourd’hui sous son nom japonais (école sōtō) : contrairement à l’école Linji, cette école insiste sur la méditation assise (aujourd’hui surtout connue sous le nom japonais de zazen).
Cent écoles de pensée (zhuzi baijia, 諸子百家)
Expression (le chiffre est symbolique) désignant le foisonnement intellectuel et le développement de nombreuses écoles de pensée durant les périodes des Printemps et Automnes et des Royaumes combattants (entre 770 et 221 av. J.-C.). Parmi ces écoles, les six plus connues sont : l'école du yinyang et des cinq phases (wuxing), l'école confucéenne, l'école moïste, l'école des noms, l'école légiste, l'école taoïste (chacune de ces écoles est présente dans ce glossaire).
Chants de Chu (Chu Ci 楚辭)
Les Chants de Chu sont une anthologie de poèmes datant des IVe et IIIe siècle av. J. C. L’un des auteurs est Qu Yuan (屈原, 343/340 ? – 278/290 ? av. J.-C.), premier poète chinois dont le nom soit passé à la postérité. Les poèmes sont, pour une grande partie, originaires du royaume de Chu. Leur contenu laisse transparaître à la fois la culture chamaniste qui prospérait à l’époque dans ce royaume et des thématiques proches du taoïsme.
Chengyu (成語)
Proverbe chinois caractérisé par sa forme figée. Généralement issu du chinois classique et le plus souvent constitué de quatre caractères, le chengyu est une expression idiomatique qui renvoie à un arrière-fond mythologique ou historique qui en explique l’origine (même si le sens moderne du chengyu diffère parfois du sens originel). En raison de ce renvoi mythologique ou historique, le chengyu est souvent porteur d’une morale ou d’une forme de sagesse, voire d’une vision du monde, d’où son usage courant dans la langue quotidienne comme dans les spéculations d’ordre théorique. Comme il existe une variété immense de chengyu, des dictionnaires imprimés ou numériques existent (voici un lien vers quelques chengyu : https://chine.in/mandarin/dictionnaire/index.php?chengyu=1).
Classiques (jing, 經)
Les classiques désignent en Chine les ouvrages dont le contenu est considéré comme permanent et constitue une tradition dont les commentaires s’enrichissent au fil des siècles. Au départ, les classiques désignaient les classiques confucéens (d’abord au nombre de cinq puis étendus à treize). Il s’agira du corpus obligatoire pour les candidats aux examens impériaux durant toute l’histoire de la Chine impériale (ce sera donc le pilier de l’orthodoxie du confucianisme d’Etat).
Par la suite le mot classique désignera également les écrits du taoïsme et du bouddhisme. Cette existence des "classiques" n’est pas étrangère au fait que la pensée chinoise se donne toujours à travers des citations, des commentaires et la référence à une tradition plutôt que comme un système supposé être original et en rupture avec le passé (comme c’est à l'inverse le cas au moins dans une partie de la philosophie occidentale à partir de Descartes).
Pour en rester ici aux cinq classiques du canon confucéen qui ont été fixés sous le règne de Han Wudi (141-87 av. J.-C.), ils désignent :
Confucius (kong zi, 孔子, 551-479 av. J.-C. )
Comme Socrate, il n'a rien écrit et nous n'avons de lui que les Entretiens (Lunyu : 論語) qui sont un recueil de propos et d'aphorismes du maître avec ses élèves. Nous savons également qu'il enseigna la plus grande partie de sa vie et tenta en vain de trouver un prince désireux de mettre en place ses conceptions éthiques et politiques. C'est qu'à l'image de Platon qui fut confronté à la crise de la cité grecque, Confucius vécut lui aussi une période d'instabilité politique (voir le tableau chronologique). En ce sens, il s'agissait pour lui de penser le chemin éthique et politique d'une harmonie retrouvée.
A soixante ans, Confucius revient dans son pays natal, sans avoir trouvé un souverain acceptant de mettre en œuvre ses conseils. Il passe la fin de sa vie à enseigner à ses disciples.
La structure des Entretiens (Lunyu, 論語) :
Les Entretiens sont assez déroutants au premier abord. Les remarques de Confucius à ses disciples n’obéissent à aucune systématicité, sont toujours circonstanciées et donnent rarement lieu à un énoncé figé. Il y a également beaucoup d’allusions, de suggestions et de nombreuses pensées ne peuvent être interprétées indépendamment du contexte dans lequel elles sont énoncées. Si cette structure décousue a pu surprendre les lecteurs occidentaux, et parfois les décevoir, elle n’est pas l’aveu d’un échec, mais témoigne à la fois du souci d’un enseignement vivant et de la conviction selon laquelle l’apprentissage authentique ne peut se réduire à une transmission livresque et strictement théorique. Cette conviction se comprendra mieux une fois les grandes lignes de la pensée de Confucius rapidement présentées.
Les grandes lignes de l’enseignement de Confucius :
D’après Confucius, les hommes doivent apprendre à être pleinement humains en devenant des hommes de qualité (junzi 君子). L'homme de qualité (« Junzi », qui veut dire littéralement « fils de seigneur ») désigne initialement en chinois la qualité de l'homme noble. Mais pour Confucius, cette noblesse n'est plus liée au rang ou au sang ; elle dépend de la façon dont l'être humain s'accomplit. Tout le monde peut devenir un homme de qualité ou au contraire se dégrader et devenir un homme de peu. Il s’agit donc de devenir pleinement homme
Or, pour Confucius, apprendre à être homme de qualité (Junzi) consiste à tourner son être vers certaines vertus :
Tout d'abord le ren 仁 , qui peut se traduire par « sens de l'humain », « bienveillance », humanité » et qui est la valeur que Confucius place pratiquement au-dessus de tout. Le ren c'est le fait d'entretenir un rapport moral avec autrui et de ne jamais oublier que le moi ne peut se considérer comme une entité séparée des autres. Mais ce sens de l'humain reste un idéal vers lequel tendre et non une qualité figée atteignable une fois pour toutes.
NB: ren 仁 s’écrit avec le radical homme 亻et le signe deux 二 . La composition du caractère est révélatrice : l’homme ne devient humain que dans sa relation à autrui.
Mais cette vertu du ren ne se comprend pas sans son lien à d'autres vertus. Ainsi cultiver le ren c'est notamment être guidé en permanence par la mansuétude (shu 恕), à savoir le fait de ne pas faire à autrui ce que ne l'on ne souhaite pas pour nous. La mansuétude doit donc me permettre de parvenir à un « juste milieu » à l'égard des autres en exigeant d'abord de moi-même.
On ne comprendrait pas non plus l'héritage de la pensée de Confucius, si nous n'insistions pas sur une autre vertu cardinale à ses yeux, à savoir l'esprit rituel (li 禮) : en effet, le sens de l'humain se développant dans le rapport harmonieux et éthique à autrui, il ne va pas sans l'esprit rituel, le rite étant ici à comprendre non pas comme un simple protocole formel et vide de sens (une politesse de façade), mais plutôt comme un ajustement sincère à l'égard d'autrui, ajustement au nom duquel on doit savoir mettre de côté tout ego. Il s'agit de lutter contre la tendance à l'égocentrisme pour intérioriser par les rites notre sens de l'humanité. Le rite est en effet ce qui caractérise un groupe d'humains en les unissant par un lien symbolique. Il n'est donc pas question d'y adhérer de façon strictement formelle, mais de donner pleinement sens à l'actualisation du rite pour être pleinement humain.
Cette importance du rite ne va pas à son tour sans le sens du juste (yi 義) face à toute situation. Sans le sens du juste (yi), le rite (li) est inapproprié et vide de signification (il devient protocole formel, froid et décalé par rapport au manque d'équité). Et sans le rite, le sens du juste ne peut s'actualiser, se matérialiser concrètement dans des formes spécifiques.
De l'éthique au politique : le rôle du gouvernant
Cette éthique confucéenne a des échos politiques puisque le gouvernant doit être l'incarnation du ren. Pour cette raison, il doit privilégier vertu et harmonie rituelle, deux qualités qui vont moralement obliger le peuple sans le contraindre par l'usage de la force légale. Le gouvernant doit donc donner l'exemple par sa propre recherche de l'harmonie rituelle et par son propre sens de la justesse et de la justice. Pour cela, il doit chercher à rendre à chaque chose et personne sa juste place, ce que Confucius appelle la « rectification des noms ».
Confucianisme (Rújiā 儒家, littéralement « école des lettrés »)
Le confucianisme désigne d’une part une école de pensée héritant de la pensée de Confucius et de ses disciples et d’autre part une doctrine d’Etat pour le recrutement des fonctionnaires à partir de la période des Han antérieurs (début : sous l’empereur Han Wudi 156/87 av. J.-C.).
Ciel (tian, 天)
L’idéogramme relatif au mot ciel peut désigner plusieurs choses selon les contextes et périodes :
1. Une norme supérieure à caractère éthique (par exemple, le fameux mandat du ciel légitimant le pouvoir de l’empereur).
2. La nature, dont les lois s’imposent à l’homme et à tout être.
3. Couplé avec le mot terre (ciel/terre, tian/di 天地), le binôme désigne l’univers (de l’union du ciel et de la terre – respectivement yang et yin – naissent tous les êtres).
Précisons qu’avec le ciel et la terre, l’homme est le troisième terme de cette triade fondamentale. En effet, l'homme est engendré par le Ciel et la Terre et participe à la fois de la Terre en tant qu'être physique – c'est le bas de son corps – et du Ciel en tant qu'être spirituel – c'est le haut de son corps.
Il est également à noter que le rôle de l’homme est loin d’être strictement passif : comme le souligne Nicolas Zufferey à propos de la divination antique « En Chine ancienne, celui qui sacrifie au Ciel paraît se plier à son autorité ; en réalité, si le sacrifice est réalisé selon les règles, le Ciel est tenu de réagir, et d'une manière conforme à ce qu'on attend de lui » Introduction à la pensée chinoise, Chap. 2, Marabout, 2008.
Glossaire (partie 2) : D à L
Dao 道 – anciennement écrit Tao
Terme utilisé par la plupart des écoles de pensée chinoise (et donc pas seulement par le taoïsme) qui désigne initialement « route », « voie », « chemin » et qui en vient par extension à désigner suivant les auteurs et les contextes :
daoïsme – la plupart du temps écrit taoïsme (dao jia 道家 et dao jiao 道教)
Avec le confucianisme, le taoïsme est l'un des piliers de la pensée chinoise. Mais si ses thèmes centraux sont présents dès le V/IVe siècle av. J.-C., ce n’est qu’au IIe siècle av. J.-C. que le nom « école taoïste » (dao jia 道家) apparaît pour la première fois. Et ce n'est qu'au Ve siècle que le canon officiel des écrits taoïstes est dressé par Lu Xiujing 陸修靜 (406-477).
De plus, l'histoire du taoïsme recouvre tout à la fois des spéculations philosophiques, une quête mystique, des pratiques et savoirs ésotériques et des rituels religieux. Autant dire que le taoïsme n'est pas un enseignement uniforme et figé, mais un ensemble d'approches qui se sont mutuellement influencées et enrichies jusqu'à nos jours.
Au cœur de cet ensemble, on trouve une acception originale de la notion de dao 道. Le taoïsme considère en effet avant tout le Dao (aussi écrit Tao) comme un principe absolu et ineffable, une réalité originelle mère de toute chose et de tout être, réalité avec laquelle il s'agit de fusionner.
En un second sens, le taoïsme utilise le même mot dao (ou tao) pour désigner la voie juste, la conduite adaptée, permettant de parvenir à cette fusion.
Remarque sur la transcription du caractère dao :
En raison de ce double sens du terme dao dans le taoïsme il est fréquent de voir dans les traductions la distinction entre dao et Dao (en majuscule), pour marquer la différence entre le Dao compris comme origine absolue et indicible de toute chose et le dao considéré comme la voie adéquate pour s'unir à cette origine. Le problème est évidemment que les idéogrammes n’ont pas de majuscule (donc encore faut-il être capable de repérer dans le texte d’origine la différence de fonction du même caractère : 道).
L’évolution historique du taoïsme :
Il est courant de distinguer le versant philosophique du taoïsme de son versant ésotérique et religieux. D'ailleurs, à partir de l'émergence de pratiques religieuses structurées (entre le IIe siècle et le Ve de notre ère), la classification des textes opérera une distinction entre les écrits de l' "école taoïste" (dao jia 道家), désignant plutôt les traités sur les fondements philosophiques, et ceux de la "religion taoïste" (dao jiao 道教). Pourtant, sans nier que cette distinction puisse faire sens, elle reste insuffisante, puisque de nombreux auteurs empruntent aux deux versants sans qu'il soit possible de les séparer. De plus, très souvent, cette distinction expéditive provient soit d'une certaine ignorance des subtilités spéculatives du taoïsme ésotérique (que l'on juge abruptement non-philosophique...), soit d'une confusion entre la quête mystique du taoïsme et les pratiques populaires auxquelles elle est abusivement réduite.
En fait, il serait plus pertinent de relever les origines diverses du taoïsme, afin de mieux saisir pourquoi sa maturation a donné lieu à un enseignement tout à la fois philosophique, ésotérique et religieux.
Les origines (c'est-à-dire avant que l'on parle d'une "école taoïste" ) :
Le taoïsme hérite en fait d'une double tradition :
D'une part, celle laissée par les textes attribués à Zhuangzi (le Zhuangzi), à Laozi (le Daodejing), ainsi qu'aux penseurs de l'école du yin/yang et des cinq phases. Cette tradition dessine les contours philosophiques du taoïsme. Etant donné sa richesse et sa complexité, nous nous permettons de renvoyer aux articles la concernant dans le présent glossaire.
D'autre part, la tradition issue des pratiques magico-religieuses visant à cultiver la longévité et atteindre l'immortalité. Ces pratiques étaient notamment proposées par les fangshi 方士 (des spécialistes des arts magiques) durant la période des royaumes combattants. Elles reposaient sur la croyance populaire (au moins depuis le VIIIe av. J.-.C) en l'existence d'immortels résidant dans des montagnes lointaines.
Enfin, la naissance du taoïsme a été marquée par les techniques d'extase transparaissant dans les Chants de Chu (Chǔ Cí 楚辭), une compilation de poèmes fortement influencés par la culture chamanique qui prospérait à l'époque dans le royaume de Chu.
La maturité :
Entre le Ier et le IVe siècle de notre ère, ce double héritage va fusionner (par exemple, avec des auteurs comme Wei Boyang et Ge Hong), et les maîtres taoïstes vont développer des pratiques religieuses et ésotériques dans la perspective d’une union mystique avec le Dao.
Ces pratiques religieuses et ésotériques visent majoritairement à prolonger la vie et atteindre une forme d’immortalité et prennent diverses formes (pratiques méditatives, corporelles, médicales, sexuelles, divinatoires pour n’en citer que quelques-unes).
Parmi ces pratiques, une distinction importante est à faire entre :
1. L’alchimie "externe" (waidan 外丹, littéralement "cinabre extérieur") qui privilégie la recherche opératoire d’une drogue d'immortalité par la transmutation de substances chimiques (ayant souvent pour base le cinabre et l’or).
L'intuition guidant l'alchimie opératoire taoïste est la suivante : les manipulations sur le cinabre et l'or reproduisent une version accélérée des transformations présentes dans la nature. Le résultat de ces opérations (l'élixir obtenu) doit alors permettre de récréer dans l'organisme humain l'état d'indifférenciation initiale (à savoir la fusion subtile du Yin et du Yang) qui caractérise le "souffle originel" (yuanqi 元氣). Ce procédé évite alors à l'organisme la perte du "souffle originel", cause de la maladie et de la mort.
2. L’alchimie dite "interne" (neidan 內丹, littéralement "cinabre intérieur"), qui vise le développement d'une âme immortelle à partir de pratiques consistant à renforcer, épurer et concentrer les trois forces vitales que sont le souffle vital (qi,氣), l'esprit (shen 神), la semence (jing 精). Ce cheminement implique des exercices spirituels, méditatifs, respiratoires et corporels qui sont à terme censés conduire à une forme d'illumination, à savoir une union avec le Dao grâce à l'abolition de tout déséquilibre entre les dynamiques Yin et Yang.
En fait, jusqu'au IXe siècle, "l'alchimie interne" n'existe pas de façon autonome, même si une grande partie des pratiques qu'elle propose est déjà présente dans les écoles taoïstes. D'ailleurs, du Ie au IXe siècle, de nombreux auteurs ont défendu la combinaison de ces pratiques avec l'alchimie opératoire (externe). Mais après la dynastie des Tang, l'alchimie externe a progressivement décliné au profit de la seule alchimie interne, déclin qui accompagne le passage au premier plan de la quête d'immortalité spirituelle.
Cependant, il faut noter qu'il est souvent très difficile d'y voir clair dans les textes, dans la mesure où les écoles de l'alchimie externe ont repris à leur compte, mais de façon strictement symbolique, le langage et la terminologie de l'alchimie opératoire, terminologie qu'elles combinent à des références constantes aux trigrammes et hexagrammes du Yijing (ce qui rend pour le moins complexe la lecture des traités).
La religion institutionnelle
Enfin, autour de ces pratiques diverses visant à une union mystique avec le Dao sont venues se former des communautés, ce qui a donné naissance à la religion taoïste (désignée sous le nom de dao jiao 道教) :
Par exemple, l'Ecole des cinq boisseaux de riz (wu tou mi dao 五斗米道), apparue entre 120 et 150 apr. J.-C., est l’une des premières sectes taoïstes organisée autour de rituels précis et d’une discipline monacale (la tradition fait de Zhang Daoling 張道陵, 34-156 ap. J. C., son fondateur).
Par la suite, de nombreuses écoles seront instituées, chacune valorisant tel ou tel aspect des traditions évoquées auparavant (l'école la plus répandue aujourd'hui en Chine est l'école dite de "La Porte du Dragon", école Longmen 龙门, dont la fondation est attribuée par la tradition au moine Qiu Chuji 丘處機 au XIIIe siècle).
Le développement de ces écoles religieuses a donné lieu à la création d'un panthéon riche, coloré et sans cesse renouvelé (donc particulièrement difficile à appréhender...). Ce panthéon puise à la fois dans la philosophie taoïste (avec par exemple la divinisation de Laozi), dans la religion populaire et dans les enseignements du confucianisme et du bouddhisme (l'enfer taoïste notamment est très influencé par les représentations de l'enfer bouddhiste).
Mais, comme le précise Isabelle Robinet, tous ces dieux incarnent des fonctions plutôt que des individualités. De plus, « toutes ces divinités n’en sont qu’une seule ou, selon une autre formule dont le sens est le même, elles sont toutes issues d’une seule instance, le Tao » (Histoire du taoïsme des origines au XIVe siècle, éditions du Cerf, 1991, p. 24).
L'ambiguïté du taoïsme vis-à-vis de la société
La complexité de la pensée taoïste se traduit par un rapport ambivalent à l'égard des institutions et de la vie sociale. Ici encore, il s'agit de mettre en valeur des tendances plutôt que de chercher à figer des distinctions ou des oppositions entre différents courants.
D'un côté, pour parvenir à une union muette avec le Dao, les fondements philosophiques du taoïsme (chez Laozi et Zhuangzi notamment) nous invitent au non-agir (wu-wei), à savoir au refus de forcer les choses, d'interférer de façon superflue dans un ordre spontanément harmonieux. Or, si le non-agir ne consiste pas à ne rien faire, mais à se fondre dans le cours naturel des choses, il n'en est pas moins une façon de remettre en question les artifices de la culture, la fonction de l’éducation et des institutions (éléments centraux dans le confucianisme). En ce sens, la perspective d'un retour à notre nature originelle et d’une fusion avec le régime du Dao passe bien par un retrait hors de la vie mondaine, par un détachement à l'égard des fonctions de pouvoir et par un désapprentissage des acquis sociaux.
D'un autre côté, si de nombreux taoïstes ont entretenu la tradition de l'ermitage et de la poursuite solitaire d'une quête mystique, d'autres ont en parallèle été conseillers des princes et des empereurs sans que cela ne leur semble incompatible avec leur conception du monde.
Enfin, le taoïsme a toujours joué un rôle important auprès du peuple, tant au niveau des rituels religieux (qui ont servi de ciment social à toutes les couches de la population) qu'au niveau des idées politiques. D'ailleurs, le taoïsme a été à l'origine de plusieurs grandes révoltes contre le pouvoir impérial, à commencer par celle qui a marqué le déclin de la dynastie des Han, à savoir la révolte des turbans jaunes impulsée en 184 par Zhang Jiao (張角), fondateur de la secte taoïste Taiping 太平 (« grande paix » ).
On le voit, il est donc impossible de limiter le rapport qu'entretient le taoïsme avec la société à un schéma unique (sur ce point, nous renvoyons à l'ouvrage très informé d'Isabelle Robinet, Histoire du taoïsme des origines au XIVe siècle, éditions du Cerf, 1991).
Dong Zhongshu 董仲舒 (vers 195-115 av. J.-C.)
Lettré confucianiste réputé pour son commentaire du Chunqiu (l'un des cinq "classiques" confucéens) et fin connaisseur des théories naturalistes du yin/yang.
La tradition lui attribue une conception de l'univers représenté comme un ensemble de relations et de correspondances. Au sein de cet ensemble, le Ciel est considéré comme créateur doté d'une intentionnalité et d'une volonté. Pour autant, cette conception du Ciel n'est pas comparable à celle du Dieu du monothéisme dans la mesure où l'homme et le Ciel appartiennent à la même catégorie et sont en correspondance.
Cette théorie cosmogonique fonde également une doctrine politique puisque la légitimité d'une dynastie relève d'un mandat du Ciel. Dong Zhongshu estime ainsi que le Ciel envoie les signes naturels témoignant de ce mandat (par exemple, des catastrophes naturelles répétées peuvent refléter la perte de légitimité d'une dynastie).
L'un des critiques de cette approche intentionnaliste et volontariste du Ciel sera notamment le penseur Wang Chong.
Ecole du Yin-Yang et des cinq phases (yinyang wuxing jia, 陰陽五行家)
Notamment représentée par les travaux du penseur Zou Yan (IIIe siècle av. J.-C.), l’école du yinyang et des cinq phases est une systématisation (vers le IIIe siècle av. J.-C.) de principes qui sont bien plus anciens. Notamment : le qi (氣), le yin/yang (陰陽) et les cinq phases (wu xing 五行), qui forment par leur interaction une vision cosmologique à part entière servant de socle commun à l’ensemble de la pensée chinoise ancienne et classique.
Comme ces termes traversent toute l’histoire de la pensée chinoise, ils méritent d’être étudiés à chaque fois dans leur contexte. Mais on peut au moins en donner une définition de départ (aussi approximative et réductrice soit-elle).
Généralement traduit par souffle ou énergie (le caractère actuellement en usage évoque la vapeur – 气 – qui émane du riz en train de cuire - 米), le qi est une force vitale qui anime et structure toute chose. Selon la formule d’Anne Cheng, le qi est « un principe de réalité unique qui donne forme à toute chose et à tout être dans l'univers » (in Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 252).
Mais il faut préciser que le qi n’existe pas en dehors des êtres qu’il anime. Il circule en toute chose sans qu’il soit possible de le saisir en dehors des choses. Comme le souligne Isabelle Robinet, « Ce n’est pas une substance qui aurait une existence repérable, en dehors des formes qu’elle prend et de leurs transformations » (Histoire du taoïsme des origines au XIVe siècle, éditions du Cerf, 1991, p. 11.)
De cette circulation du qi dépend l’évolution des êtres : « Tout naît, tout disparaît en raison des divers états de ce Souffle et, en conséquence, tout n’est que mutations et permutations toujours renouvelées d’une forme dans une autre » (I. Robinet, La pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, Puf, 2017, p. 122).
Mais le rythme du qi ne se comprend pas sans l’alternance Yin/Yang.
Le couple Yin/Yang désigne pour sa part deux principes complémentaires qui constituent le rythme fondamental du qi. Ce ne sont pas des réalités opposées et figées (à l’image de la caricature souvent donnée). Yin et Yang, tout en renvoyant à des tendances contraires (le premier qualifiant ce qui penche vers le repos et le second ce qui s’oriente vers le mouvement), sont en constante interaction. A chaque fois, le déclin de l’un implique le développement de l’autre, cela dans une alternance sans cesse renouvelée.
Comme l’explique Anne Cheng, « Le rythme binaire Yin/Yang est le rythme fondamental qui anime le principe vital : le qi qui se meut, s’ouvre, s’étend est Yang ; quand il revient à la quiétude et se replie sur lui-même, il est Yin. Lorsqu’un être advient à l’existence, son qi se meut vers le dehors dans sa phase Yang, puis se stabilise dans la phase de recueillement Yin pour se fixer dans une forme durable. En d’autres termes, Yin et Yang ne désignent pas deux forces opposées qui s’appliqueraient au qi conçu comme matière inerte, l’une la mettant en mouvement et l’autre au repos, ils sont deux phases du qi constamment en circulation, en expansion/contraction. » (Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, pp. 254-255).
Notons qu’initialement, le Yang désignait le versant lumineux d’une montagne et le Yin était rattaché à ce qui est sombre et humide (et donc au versant sombre d’une montagne). Ensuite, les deux termes en sont venus à désigner des catégories complémentaires permettant de décrire la dualité en toute chose. Le Yin serait la qualité de ce qui tend vers le lunaire, l’obscur, l’intériorité, la souplesse, le nord, etc., alors que le Yang exprimerait par contraste ce qui tend vers l’ensoleillement, la luminosité, l’extériorité, etc.
Mais il faut se garder d'interpréter cela d'une façon trop rigide. D’une part, toute réalité possède en elle l’interaction Yin/Yang et les deux catégories sont interdépendantes. Enfin, les deux ne sont en aucun cas des réalités figées (il ne s'agit pas d'une nature yin ou d'une nature yang dans les choses). Ce sont des tendances contraires, mais complémentaires, au cœur de la dynamique de la nature. Lorsqu'elles atteignent leur plénitude, elles se renversent (la pleine expression du Yang l'amène à devenir Yin et la pleine expression du Yin l'amène à se faire Yang).
Il ne s’agit pas tant d’éléments figés (comparables au quatre éléments de la philosophie d’Empédocle) plutôt que de phases. En d’autres termes, ce sont des processus à l’oeuvre dans toute réalité, des dynamiques qui reflètent les différentes orientations du cycle vital. Comme le dit Léon Vandermeersch, les wu xing « ne sont pas des substances mais les formes fondamentales de la dynamique des mouvements et changements affectant incessamment tous les êtres de l’univers. » (Les deux raisons de la pensée chinoise, Gallimard, 2013, p. 111).
Autour de ces cinq phases, combinées à l'alternance Yin/Yang, s'élaborent alors des systèmes de correspondances, et de repères visant à comprendre les influences réciproques entre les événéments, les choses et les êtres (sur la page suivante, vous pouvez trouver un tableau non exhaustif de certaines de ces correspondances).
Ce système conceptuel (qi, Yin/Yang, wu xing) aboutit donc à une vision cosmologique complexe, résolument orientée vers la mise en valeur de l'interdépendance entre tous les éléments. Plus précisément, cette vision s'articule autour d'une intuition centrale, celle d'une "résonance mutuelle" universelle (Ganying 感應), à savoir l'idée que chaque événement, phénomène ou action déclenche une impulsion, un stimulus qui reçoit en retour une réponse sur les plans qui correspondent à leur catégorie d'appartenance.
Ecole agricole ou écoles des agronomes (nongjia 农家)
C’est l’une des écoles apparues lors du foisonnement intellectuel qui a accompagné les périodes des Printemps et Automnes et des Royaumes combattants (entre 770 et 221 av. J.-C.), foisonnement connu sous l’expression « cent écoles de pensées ».
L’école des agronomes défendait notamment la perspective d’un communautarisme égalitaire fondé sur le primat de l’agriculture et l’absence de division du travail. Mencius a critiqué cette conception en visant plus spécifiquement l’un des défenseurs de cette école, le penseur Xu Xing 許行 (372-289 av. J.C.).
Ecole des diplomates (zonghengjia, 縱橫家)
C’est l’une des écoles apparues lors du foisonnement intellectuel qui a accompagné les périodes des Printemps et Automnes et des royaumes combattants (entre 770 et 221 av. J.-C.), foisonnement connu sous l’expression « cent écoles de pensées ».
L’école des diplomates s’est notamment intéressée à la rhétorique (rejoignant en cela les intérêts de l’école des noms – voir dans le glossaire), ainsi qu’aux techniques de gouvernance. Guiguzi 鬼谷子 (qui désigne à la fois un auteur dont on ne sait pratiquement rien et un ensemble de textes) est considéré par la tradition comme l’auteur/texte fondateur de cette école.
Ecole des noms (mingjia, 名家)
C’est l’une des écoles apparues lors du foisonnement intellectuel qui a accompagné les périodes des Printemps et Automnes et des royaumes combattants (entre 770 et 221 av. J.-C.), foisonnement connu sous l’expression « cent écoles de pensées ».
Plus précisément, il s’agit de penseurs (l’un des plus connus est Gongsun Long 公孙龙 325-250 av. J.-C.) qui ont développé une réflexion sur la logique, notamment à partir de paradoxes mettant en valeur l’importance de l’argumentation. Certains de ces paradoxes (par exemple le fameux « un cheval blanc n’est pas un cheval ») ne sont pas sans rappeler les paradoxes des sophistes grecs.
Mais si ce souci de la logique est partagé par des penseurs importants dans l’antiquité, comme Mozi (voir dans le glossaire), il tombe en désuétude par la suite, ce qui constitue l’une des différences majeures avec la philosophie occidentale (au sein de laquelle la logique est devenue le fondement de la rationalité discursive).
Fangxiandao 方仙道, « Voie des magiciens et des immortels » (également appelée shénxiān jiā, 神仙家 soit « école des immortels »)
Courant magico-religieux des périodes des Printemps et Automnes et des royaumes combattants (de 771 à 256 av. J.-C.). Il s’agissait principalement de maîtres des arts magiques (fangshi方士, "homme des arts secrets"), c'est-à-dire de l'alchimie, des pratiques divinatoires et des exorcismes. Ces spécialistes étaient consultés par les souverains dans l’objectif d’atteindre l'immortalité physique.
Cette croyance en une possible immortalité s’accompagnait de la croyance en l’existence d'immortels vivant dans les îles montagneuses de la mer jaune et de la mer de Chine orientale.
L’un des fangshi les plus célèbres est Xu Fu (徐福), né en 255 av. J.-C., alchimiste au service du premier empereur de la dynastie Qin de Chine (Qin Shi Huangdi). En 219 et 210 av. J.-C., il aurait été envoyé par l'empereur vers les « mers de l'Est » à la recherche des îles des immortels. Il ne serait jamais revenu du second voyage et aurait, semble-t-il, abordé au Japon (où sa légende est toujours vivante).
Il est à noter que la tradition laissée par ces spécialistes des "arts secrets" nourrira durablement une partie de l'enseignement taoïste.
Ganying 感應 (résonance mutuelle)
Souvent traduit par "résonance mutuelle" ou "stimulus/réponse", cette notion est centrale dans la conception cosmologique qui se développe dans le Yijing et parvient à sa maturité avec l’Ecole du Yin/Yang et des cinq phases.
Dans la pensée chinoise ancienne et classique, l’idée d’une « résonance mutuelle » est au coeur du fonctionnement de l’univers. Cette idée est bien résumée par Ester Bianchi : « toute action ou événement constitue une impulsion déclenchant nécessairement une réaction simultanée ou ultérieure sur les différents plans de sa catégorie d’appartenance » (Le Taoïsme, éditions Hazan, 2010, p. 171). A partir de cette intuition générale, les dynamiques opposées/complémentaires Yin et Yang et les principes d’animation que sont les cinq phases (wu xing) permettent d’élaborer des systèmes de correspondances donnant une clé de lecture des différents niveaux d’influence entre tous les êtres et toutes les choses.
Ge Hong, 葛洪 (283/343)
Maître taoïste connu pour l’intérêt qu’il porte à la quête de l’immortalité taoïste. Dans plusieurs de ses ouvrages, notamment le baopu zi (抱朴子), il expose les procédés pour parvenir à cette immortalité (parmi ces procédés, il y a la pharmacopée naturelle, des gymnastiques, des techniques respiratoires, des techniques sexuelles, etc.).
Pour plus d'informations sur cet auteur, nous renvoyons à la balade n° 10.
gong’an, 公案 (kôan en japonais)
Utilisés par le bouddhisme Chan (Zen au Japon), les gong’an sont des sentences énigmatiques, des petites anecdotes absurdes (voire paradoxales) ou des joutes oratoires destinées à briser les barrières mentales du disciple de façon à produire en lui l’ « illumination » instantanée.
Guo Xiang (252 ?-312 ?)
Penseur influencé par le taoïsme, éditeur et commentateur du Zhuangzi. Il s’opposera à Wang Bi sur l’importante notion de wu 無 (voir à Wang Bi et wu無).
Han Fei 韓非 (280–233 av. J.-C.)
Il est l’un des plus fameux représentants du courant légiste et surtout le seul à rechercher un fondement philosophique à cette théorie politique. Bègue dans un milieu social et une époque où l’éloquence constituait une arme indispensable, il va compenser cette faiblesse par une écriture élaborée et acérée. Partisan d’une application sans faille de la loi, il sera lui-même victime de ses conceptions et condamné au suicide par un ancien condisciple devenu ministre.
Au niveau de sa pensée, Han Fei, qui est au départ un élève de Xunzi, reprend de ce dernier le constat que l’homme est par nature orienté vers des tendances égoïstes. Mais contrairement à Xunzi qui, en héritier de Confucius, met en valeur l’importance de l’intériorisation des rites pour lutter contre ces tendances naturelles, Han Fei refuse cette solution optimiste au profit d’une application stricte et radicale de la loi. Par loi, il faut ici comprendre un système implacable de châtiments et de récompenses qui s’impose à l’ensemble des individus et dans tous les domaines de l’activité humaine.
A la différence des autres partisans du légisme cependant, Han Fei tente de trouver un véritable fondement théorique à cette approche politique. De façon originale, bien que très discutable, il cherche ce fondement dans les principes du taoïsme. La loi du souverain est identifiée au Dao en tant qu’elle participe à ordonner l’univers. Ainsi, comme le Dao, la loi s’imposerait par elle-même et le souverain qui la fait appliquer n’aurait pas à intervenir. Semblable au sage taoïste pratiquant le non-agir, le souverain reste caché du reste du monde et laisse le système de récompenses et de châtiments faire sa propre œuvre. Il écrit par exemple :
"La voie réside dans l'invisible,
L'action, dans le secret.
Dans le calme et la vacuité, le souverain est sans affaire.
Dans l'ombre, il perçoit les défauts.
Il voit, mais n'est pas vu.
il entend, mais n'est pas ouï.
Il sait sans que l'on sache"
Hanfeizi, chap. 5 (trad. de Damien Chaussende)
Tout en reconnaissant la singularité de cette pensée, il est important de préciser que cette lecture de la toute-puissance du pouvoir légal au prisme du Dao sera loin de recevoir une pleine adhésion chez les partisans du taoïsme.
jī kāng ou xi kang 嵇康 (223-262)
Poète, musicien, penseur taoïste tourné vers la quête d’immortalité, ji kang est le plus connu des « sept sages de la forêt de Bambous ». En 260, il refuse un poste de Secrétaire impérial au Ministère. Sa lettre de refus devenue fameuse (« Lettre de rupture à Shan Juyuan ») fait l’apologie des valeurs taoïstes, de la poursuite du bonheur individuel et de la mise à l’écart des institutions. Accusé par la suite d’avoir participé à un complot contre le pouvoir en place, et devenu trop sulfureux en raison du mode de vie marginal qu’il revendiquait, il sera finalement condamné deux ans plus tard à être exécuté. Le jour de l’exécution, il demande sa cithare et joue un dernier morceau devant la foule.
Pour plus d'informations sur cet auteur, nous renvoyons à la balade n° 9.
Juste milieu : La notion de milieu (et de juste milieu), qui a donné lieu au titre de l’un des quatre premiers livres du confucianisme officiel (中庸- zhong yong), n’est pas un simple moyen terme, une pensée tiède ou une modération de principe. Il s’agit d’un équilibre subtil qui tient compte du mouvement de toute chose, un art du funambule donc. Comme le dit Anne Cheng « le Milieu n’est pas un point équidistant entre deux termes, mais bien plutôt ce pôle dont l’attraction nous tire vers le haut, créant et maintenant dans toute situation de vie une tension qui nous fait aspirer toujours d’avantage à la meilleure part de ce qui naît entre nous » (Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 42.).
Cette idée de juste milieu, que l’on retrouve dans toute la pensée chinoise ancienne et classique (dans le confucianisme comme dans le taoïsme), provient de la place même de l’homme dans la triade ciel/terre/homme (voir à "Ciel" dans le même glossaire). L’homme doit s’accorder au cours des choses, en tant qu’intermédiaire entre le ciel et la terre qui parachève l’oeuvre cosmique.
Kang Youwei 康有為 (1858/1927)
Il est impossible de comprendre la pensée de Kang Youwei sans la replacer dans son contexte, à savoir une époque de transition humiliante et tragique pour la Chine impériale.
Ainsi, en moins d'un siècle, l'empire du milieu a vu son statut passer de celui de puissance hégémonique (rappelons qu'au XVIIIe siècle, à l'apogée de la dynastie Qing, le territoire chinois fait 13 millions de km2 et possède une production économique équivalente à celle de l'ensemble de l'Europe) à celui de nation de seconde zone démantelée par les puissances étrangères (Royaume Uni, France, Allemagne, Russie, Etats-Unis, Japon) et minée de l'intérieur par de nombreuses catastrophes naturelles et révoltes (notamment la révolte des Taiping, qui n'a pu être matée qu'après plus de 14 ans de répression et qui reste l'une des guerres civiles les plus meurtrières de l'histoire : entre 20 et 30 millions de morts).
Devant ce déclin de sa patrie, Kang Youwei fait partie des réformateurs. Convaincu que le développement de la Chine a été freiné à la fois par une partie de la tradition des lettrés et par un système administratif devenu obsolète, il cherche à repenser ces deux dimensions essentielles du fonctionnement de l'empire. Partisan d'une monarchie constitutionnelle, il sera également à l'initiative de la réforme des cent jours (1898), ce programme touchant tous les niveaux de l'Etat et ayant pour objectif de moderniser au pas de course une Chine impériale déjà à l'agonie (cette réforme sera de fait rapidement avortée en raison de la puissance de ses opposants, menés par l'impératrice douairière Cixi).
Mais, en plus d'être un réformateur actif, Kang Youwei se démarque par une conception philosophique originale. Tout d'abord, bien qu'opérant un retour très critique sur la pensée classique, il se refuse à rejeter la figure de Confucius. Il cherche à l'inverse à extraire cette dernière de toute une tradition d'interprétation (qu'il considère comme une forme de détournement). Or, cette tentative de repenser l'apport de Confucius amène de façon surprenante Kang Youwei à promouvoir une religion confucéenne à vocation universaliste. Plus étonnant encore, cette promotion s'accompagne d'une philosophie de l'histoire articulée autour de l'idée d'un progrès graduel de l'humanité aboutissant à sa libération complète au sein d'une société utopique, démocratiquement gérée et égalitaire (se caractérisant notamment par l'égalité entre les sexes et l'abolition des rapports capitalistes). Cette conception (dévoilée dans son ouvrage posthume, le da tong shu 大同書, qui signifie littéralement "le livre de la grande unité") est unique dans l'histoire de la chine impériale, dans la mesure où elle s'intéresse au destin de l'ensemble de l'humanité. Elle laisse aussi percevoir l'influence des écrits occidentaux modernes, qui sont à cette époque connus d'une partie des lettrés chinois.
Laozi 老子 (d’après la tradition, VIe siècle av. J.-C. /Ve siècle av. J.-C.)
Personnage essentiel dans la tradition chinoise, dont l’existence historique fait aujourd’hui question. On lui a a posteriori attribué l’un des textes fondateurs du Taoïsme : le Daodejing 道德经, Le classique de la Voie et de la Vertu (dont les traces historiquement attestées remontent au IIIe siècle av. J.-C).
D’après la légende, Laozi serait né avec des cheveux blancs et une barbe après 62 (ou 81) années de gestation (le nom Laozi pouvant d'ailleurs non seulement signifier « vieux maître », mais aussi « vieil enfant »). Il aurait, toujours selon la légende, rédigé le Daodejing à la demande du gardien de la dernière passe avant les steppes, puis serait parti vers l’ouest à dos de buffle après avoir remis son texte au gardien. Ce départ permettra au taoïsme et au bouddhisme d’imaginer sa possible rencontre avec Bouddha (et même, dans certains cas, de l'identifier à Bouddha).
Evoquons de façon très schématique deux lignes directrices du Daodejing (livre dont le style poétique et les nombreux aphorismes rendent la traduction périlleuse et l’interprétation difficile) :
1. Le Dao 道 est chez Laozi à comprendre comme une vérité ultime et ineffable (« le dao qui peut être nommé n'est pas le dao » Daodejing, §1), vérité désignant une réalité originelle sans forme et sans limites qui est la source de tous les êtres. De cette origine indicible (de cette absence contenant potentiellement tout, mais qui n'est pas encore présence) naissent toutes les choses. On comprend plus ou moins que l'unité du réel (l'Un) surgit d'une origine absolue qui contient tout sans être elle-même encore quelque chose de concret. Et ce déploiement, qui de l'unité du réel va donner la multiplicité des choses (les "dix mille êtres" selon l'expression consacrée), passe par le souffle du qi et son alternance Yin/yang.
2. Le non-agir (wu-wei 無為) est la seule méthode ou voie (autre sens du mot dao) qui permette de faire un avec le Dao (conçu comme origine absolue de toute chose). En effet, il faut préférer le non-agir car « celui qui agit finit par détruire, celui qui tente de saisir finit par perdre » (Daodejing, § 64) nous dit Laozi, voulant signifier que la volonté de forcer les choses entraîne son contraire. Cela dans la mesure où le volontarisme déséquilibre un ordre spontanément harmonieux.
Mais ne pas agir, ce n’est pourtant pas ne rien faire. C’est plutôt ne pas chercher à transformer le réel, refuser d’interférer, ne pas intervenir dans le cours des choses. Cette façon d’épouser la spontanéité du Dao (d’être en accord avec le ziran, ce qui est par soi-même – voir le terme dans le présent glossaire) permet de vaincre les choses en leur cédant. Le non-agir est donc plus puissant que l'agir.
Si le non-agir se manifeste comme un principe de conduite individuelle, il contient aussi chez Laozi des enjeux sociaux et politiques :
D’une part, il est une façon de remettre en question les artifices de la culture, la fonction des rites, de l’éducation et des institutions, autant d’éléments prédominants dans le confucianisme. Laozi nous propose ainsi de désapprendre quand Confucius ou Xunzi nous exhortent à apprendre.
D’autre part, le non-agir devient une méthode de gouvernance politique : pour Laozi, c’est le gouvernement qui laisse les choses se faire qui gouverne le mieux (« En ne promouvant pas les plus capables, on empêche le peuple de se disputer. En ne valorisant pas les choses difficiles à acquérir, on empêche le peuple de se livrer au vol », Daodejing, § 3).
Le Daodejing fait donc du non-agir un thème central. L’horizon du non-agir, c’est la perspective d'un retour à notre nature originelle, d’une régression vers l’unité avec le Dao. Pour signifier cela, Laozi use à dessein de la métaphore du nouveau-né : celui qui, adoptant le non-agir, retrouve l’origine perdue, redevient semblable au nouveau-né (Daodejing, § 20). Il n’est donc pas étonnant que le nom « Laozi » puisse littéralement signifier « vieil enfant » (un programme plus qu’un nom, comme le remarquent les sinologues qui remettent aujourd’hui en cause l'existence historique du personnage).
Légisme (fa jia 法家)
Le légisme est un ensemble d’idées partagées par différents penseurs chinois ayant vécu de la fin du viiie siècle av. J.-C. jusqu'à la fin de la période des Royaumes combattants (c’est entre autres Shang Yang 商鞅, au IVe siècle av. J.-C., puis Han Fei 韓非 au IIIe siècle av. J.-C. qui lui donnent ses grands fondements). La pensée des légistes part de l'homme et de la société tels qu'ils sont et non pas tels qu’ils devraient être. Ils font table rase du passé, de la tradition et prônent le seul usage de la loi (fa 法) comme légitime en elle-même (par sa seule présence). Ce ne sont donc plus les idées confucéennes du sens de l'humain (le ren) et la conformité aux rites qui sont chargés d'assurer la cohésion sociale, mais la loi.
Li (理)
Traversant toute l’histoire de la pensée chinoise, le caractère li (理) a pu désigner :
1. En tant que verbe, l’action de régir, régler, administrer.
2. Dans l’antiquité, un principe de bonne répartition des êtres et des actions (dans la nature et dans la société).
3. Dans le néoconfucianisme (à partir du XIe siècle), il en vient à désigner un principe d’ordre suprême informant les énergies (le qi 氣 – voir à « école du yin/yang »).
Zhuxi (XIIe siècle), notamment, articule sa compréhension du monde à partir de cette notion de li (理) qu’il conçoit comme un principe au sein de chaque chose. De plus, il postule l’existence d’un li suprême qui englobe tous les li particuliers. Il identifie ce li suprême à la notion de taiji (太極) – généralement traduit par « faîte suprême » (voire glossaire).
Li (禮)
Ce mot désigne à la fois les rites et le respect des rites. Confucius en fait l’un des points névralgiques de son approche. En effet, selon ce dernier, le sens de l'humain (le ren – voir à Confucius) se développant par un rapport harmonieux et éthique à autrui, il ne va pas sans le développement de l’esprit rituel. Mais le rite est chez Confucius à comprendre non pas comme un simple protocole formel et vide de sens (une politesse de façade, un ritualisme), mais plutôt comme un ajustement sincère à l'égard d'autrui, ajustement au nom duquel on doit savoir mettre de côté tout ego.
L’héritage de Confucius sur ce point s’orientera dans plusieurs directions :
D’un côté, une conception intériorisée du rite (l’esprit rituel devenant une forme d’ajustement moral individuel – notamment chez Mencius).
D’un autre côté, l’utilisation du rite comme moyen d’éduquer et redresser l’humain, de le détourner de ses penchants naturellement nuisibles (ce sera la position notamment de Xunzi).
Par ailleurs, l’utilité du rite est contestée par certaines écoles et auteurs. De façon très différente, c’est d’une part le cas du légisme qui dénonce l’inefficacité du rite et propose de lui substituer le seul usage de la loi pénale et d’autre part le cas d’une partie du taoïsme qui prône le détachement à l’égard des institutions et des artifices rituels au profit d’une fusion avec le Dao (voir à taoïsme).
Lie zi (列子)
Ouvrage attribué par la tradition à l'auteur Lie Yukou 列圄寇 et datant toujours d'après la tradition du V siècle av. J.-C (mais les historiens estiment qu'il s'agirait d'une compilation bien plus tardive).
Le Lie zi (parfois appelé "traité du vide parfait") est un recueil de fables et d'aphorismes qui, pour une grande partie, peuvent être rattachés aux enseignements du taoïsme philosophique (certains passages, par le ton et le contenu, se rapprochent d'ailleurs des réflexions contenues dans le Zhuangzi). C'est par ailleurs dans un chapitre du Lie zi qu'apparaît l'une des principales présentations de la doctrine assez marginale du philosophe Yang Zhu (楊朱).
Linji (Línjì Yìxuán 臨済義玄), aussi écrit Lin-tsi (IXe ? / 867)
Fondateur de l’une des écoles du bouddhisme Chan, Linji défendait un rejet du culte, des rituels et des discours et proposait l'utilisation de méthodes d' « éveil » déconcertantes. Par exemple, il tentait de surprendre le disciple au moyen de cris, ou même de coups, afin de briser ses barrières mentales pour l’amener à l’illumination instantanée.
Sur ce point, voir la balade n° 4.
Li Zhi 李贄 (1527-1602)
Li Zhi est l’un des penseurs les plus iconoclastes de l’histoire de la pensée chinoise. A la fois inspiré par le bouddhisme Chan et par la pensée critique de Wang Yangming, il remet en cause l’orthodoxie confucianiste, les traditions et se réclame de la littérature en langue vulgaire. Ses ouvrages furent interdits et il se suicida en prison après avoir été condamné pour ses idées.
Li Zhi hérite d'une tradition de pensée considérant que tout être possède en lui une nature de Bouddha (conception commune à plusieurs écoles bouddhistes chinoises). Pour cette raison, ce sont selon lui les règles et entraves propres à la société qui nous empêchent d'atteindre l'illumination et la délivrance.
Il estime en effet que chaque être humain (les hommes comme les femmes, Li Zhi considérant les deux sexes comme égaux en faculté) est doté d'un "coeur enfantin" (tong xin 童心, aussi traduit par "esprit enfantin"). Ce "coeur ou esprit enfantin" lui permet de parvenir spontanément à l'authenticité et à l'ajustement moral aux différentes situations. Il s'agit donc d'une faculté de savoir intuitive que tout le monde possède, mais qui ne peut se développer qu'à l'abri des contraintes sociales. L'orthodoxie et les rites nous détournent à l'inverse de cette faculté et menacent de nous faire perdre notre authenticité.
Mencius (Mengzi, 孟子 380-289 av. J.C.)
Héritier de la philosophie de Confucius. Il est notamment connu pour ses thèses originales sur la bonté de la nature humaine.
Mencius estime en effet que l’homme est naturellement prédisposé à la bonté.
Pour parvenir à prouver cette prédisposition naturelle, il part de la nature prise dans son ensemble (désigné dans la pensée chinoise ancienne par le terme ciel, tian 天) et affirme qu’elle ne peut être neutre ou inerte. Etant en mouvement, tendant vers quelque chose, la nature ne peut alors tendre que vers le bon (bon, non pas au sens chrétien, mais au sens de ce qui améliore les choses). Si donc la nature tend vers le bon, cela signifie que l’homme en tant que partie intégrante de la nature a des facultés naturellement saines.
Certes, Mencius admet que l’homme peut ignorer ou s’éloigner de cette prédisposition naturelle. Mais il affirme qu’en tout homme réside une tendance à la bonté, tendance que l’on peut constater à travers le constat universel de la compassion spontanée ressentie même par les pires d’entre nous dans certaines situations.
Mencius précise tout de même que cette tendance à la bonté reste une disposition qu’il faut exercer, nourrir, sous peine de la voir recouverte par une couche d’ignorance et d’oubli. La bonté ne peut se développer si notre routine fait obstacle à son épanouissement.
A partir de cette conception générale de la nature humaine, Mencius affirme trois idées directrices :
Pour plus d'informations sur cette question de la nature humaine, voir la balade n° 7.
Ming 命
Dans la pensée antique chinoise, tout être reçoit un mandat du « ciel » (pas seulement l’empereur), c’est-à-dire une forme de destin. Mais, selon de nombreux penseurs, ce destin n’a pas de forme irrévocable et il incombe à l’homme de le comprendre pour s’y adapter et ajuster sa conduite (ce qui implique d’être en adéquation avec sa nature originelle : le xing 性) .
NB : Le mandat du ciel donné à l’empereur peut lui être retiré par le ciel si l’empereur gouverne mal et/ou injustement. Le droit de révolte a d’ailleurs été justifié par certains penseurs (Mencius par exemple) au nom de ce retrait du mandat du ciel.
Mozi, 墨子 (479-381 av. J. -C. )
Mozi (fondateur de l’école moïste) prônait une société égalitaire et pacifiste à une époque où les guerres faisaient rage en Chine. Selon lui, le seul critère sur lequel on doit juger une doctrine est le bien qu'elle apporte au peuple (donc son utilité générale – Mozi est en ce sens, avec certains sophistes grecs, l’un des fondateurs de l’utilitarisme dans l’histoire de la pensée).
Ce point de vue amène notamment Mozi à critiquer Confucius sur l’importance des rites. Mozi considère comme condamnables les rites qui ne sont pas utiles à la collectivité (par exemple le deuil traditionnel de trois ans qui représente selon lui une menace pour le bon fonctionnement de l’économie). Plus largement, Mozi condamne au nom du principe d'utilité toute forme de dépense ou production non profitable au peuple (le faste cérémonial ou les dépenses militaires pour les guerres de conquête notamment, mais également de façon plus surprenante les pratiques artistiques comme la musique).
Un autre apport essentiel de Mozi est son concept d' "amour universel" (jian'ai 兼愛). Il faut préciser que ce terme n'est pas tant à comprendre comme un sentiment plutôt que comme un souci rationnel d'équité, une façon de traiter l'ensemble de l'humanité de la même façon. En ce sens, à la différence de la mansuétude confucéenne (shu 恕) qui est une extension progressive de l'empathie prenant son origine dans la sphère familiale (la piété filiale notamment) pour se prolonger vers les autres relations, "l'amour universel" de Mozi s'adresse d'emblée à l'ensemble des êtres humains sans qu'il y ait une quelconque hiérarchie à établir. Pour cette raison, Mozi refuse d'adapter la durée et l'intensité du deuil en fonction du degré de parenté (gradation à l'inverse essentielle dans le confucianisme).
Utilité générale, traitement équitable de l'ensemble des êtres humains, Mozi est donc guidé par un idéal moral intangible. Il considère ainsi le "sens du juste" (yi 義) comme un principe absolu et objectif fondateur de toute action, là où Confucius y voit plutôt un ajustement personnel toujours dépendant du contexte.
Ajoutons enfin que, guidé par cette conception morale, Mozi ne se contente pas de penser le réel mais entend bien le transformer. Pour donner toutes les chances au pacifisme et pour aller au bout de sa dénonciation de la guerre d'Etat, il consacre une partie de ses écrits à étudier des techniques militaires destinées à assurer l'autodéfense des cités.
Néoconfucianisme (à partir du XIe siècle)
Courant philosophique qui débute sous la dynastie Song et devient la version officielle du confucianisme à partir du XIVe siècle jusqu'au tout début du XXe siècle. Le néoconfucianisme apparaît notamment pour contrer l’influence alors prédominante du bouddhisme et du taoïsme (même si certains néoconfucianistes tenteront de proposer une forme de syncrétisme).
Parmi les nombreux représentants du néoconfucianisme, on compte notamment Shao Yong 邵雍 (1012-1077), Zhang Zai 張載 (1020-1078), Cheng Hao (程顥, 1032-1085) et Zhu Xi 朱熹 (1130-1200).
Qi 氣 : voir à école du yin/yang et des cinq phases
[Les] sept sages de la forêt de bambous, Zhú lín qī xián 竹林七賢 (220 ?-280 ?)
A la fois penseurs, calligraphes, poètes et musiciens, les sept sages de la forêt de bambous (appelés ainsi parce qu’ils se réunissaient dans un bosquet de bambous) ont choisi dans une période politique très troublée (période des « trois royaumes ») de refuser les responsabilités politiques pour se retirer et s’adonner à des « causeries pures » (Qingtan 清談), des joutes oratoires sans but politique, loin de toute attente institutionnelle. Buvant, fumant et célébrant leur art, tout en adoptant des comportements excentriques (excès de boisson, nudité, etc.), ils sont restés représentatifs d’un refus des conventions et du confucianisme d’État. Le plus connu d’entre eux est Ji Kang.
Pour plus d'informations, nous renvoyons à la balade n° 9.
Shengren (聖人)
Ce caractère souvent traduit par saint (parfois par sage) désigne :
Notons que le terme de saint (聖人) se rapproche dans le taoïsme du terme zhenren 真人 (littéralement homme vrai ou véritable) et du terme zhiren 至人 (littéralement l'homme parfait, accompli, achevé). Chez de nombreux auteurs, les termes sont interchangeables. Chez d’autres, ils correspondent plutôt à une hiérarchie dans l’accomplissement spirituel (le Shengren 聖人 étant au sommet de cette hiérarchie).
Enfin, shengren 聖人est aussi utilisé dans le taoïsme comme synonyme d’immortel (xianren 仙人).
shi (时)
Ce caractère que l’on peut traduire de façon générale par « temps » ou « moment », mais également par « occasion », « opportunité », voire « circonstances » est représentatif de la conception antique du temps chinois comprise comme temps de l’acte humain. Néanmoins, le sens de cette notion a évolué au cours de l’histoire de la pensée chinoise :
shì 勢
Ce caractère est traduit par situation, circonstances, tendances, ou encore pouvoir. Comme l’explique Jean Levi, « lié d’abord au terrain […], le shi en vient à désigner toute énergie créée par une situation, qu’elle soit géographique ou historique » (in La pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, p. 117). Le shì 勢 renvoie donc aux potentialités ouvertes par un agencement spécifique des éléments, aux circonstances favorables créées par cet agencement. Et le bon stratège (dans le domaine militaire ou politique par exemple) doit évidemment s’appuyer sur ce type d’ouverture.
Taiji (太極) : généralement traduit par « faîte suprême », au sens d’une poutre faîtière qui constituerait la structure même de l’univers (NB : le faîte est en français la partie la plus élevée d’une construction). Le taiji serait ainsi la source ultime de l’univers, la clef de voute indifférenciée d’où apparaissent le yin et le yang.
Tao (voir à Dao)
Taoïsme (voir à Daoïsme)
Tchouang-Tseu (voir à Zhuangzi)
Wang Bi 王弼 (226-249) : Fondateur du courant philosophique nommé « étude du mystère » xuanxue玄學. S’appuyant sur les textes fondateurs du taoïsme et sur une lecture originale du Yijing, Wang Bi propose une justification métaphysique au système politique confucéen. C’est donc déjà à l’époque une tentative de réconciliation originale entre taoïsme et confucianisme.
Par ailleurs, Wang Bi est connu pour avoir accordé une importance toute particulière à la notion wu 無 (le « il n’y a pas », l’indifférencié) puisqu’il considère le wu comme « ce » sans quoi aucune présence n’est possible. Le wu est alors identifié à un principe métaphysique suprême, comme « ce par quoi » tout être parvient à se manifester.
Wang Chong 王充 (27 – 97 ? ap. JC)
La figure de Wang Chong se démarque dans le paysage de la pensée chinoise, à la fois en raison de sa biographie originale et de ses positions philosophiques critiques.
De condition modeste, il aurait acquis une culture livresque en autodidacte. Mais après un début de carrière encourageant, son caractère peu tempéré lui aurait valu un retrait forcé loin des postes officiels de l'administration. Il vécut donc de façon assez isolée.
Dans son œuvre principale Lunheng 论衡 (qui signifie littéralement les théories mises dans la balance), Wang Chong entend réfuter toutes sortes de croyances courantes à son époque et propose des explications rationnelles à nombre de phénomènes considérés comme "surnaturels" par ses contemporains.
Il développe notamment une vision déterministe pour expliquer les phénomènes. La notion centrale est ici celle de destin (ming 命) qui serait attribué à chaque individu par le Ciel (tian 天). Mais ce vocabulaire ne doit pas nous induire en erreur. Notre auteur ne conçoit pas cette attribution comme un "plan" du Ciel (il n'y a ni intention ni finalité à l'oeuvre). Il s'agit plutôt d'un donné qui correspond à la nature même des êtres et des choses. Une fois ce donné insufflé en chaque être, le Ciel n'intervient plus dans le cours des choses. Le Ciel s'identifie donc ici à la nature elle-même (dans un sens proche, toute comparaison gardée par ailleurs, du Deus sive natura de Spinoza) ; et Wang Chong rejette donc explicitement toute personnification morale de la figure du Ciel et toute perspective d'une justice immanente à ce dernier (il s'oppose sur ce point explicitement à Dong Zhongshu).
Comment alors interpréter l'idée d'un destin individuel ? En fait, celui-ci comprend selon Wang Chong deux dimensions : un destin de vie (biologique et physiologique) et un destin social (qui détermine la réussite sociale et matérielle de l'individu). Mais si ce double donné initial, attribué à la naissance par le Ciel, ne peut être modifié, notre auteur précise en revanche qu'il ne dessine jamais qu'une tendance générale, pas une fatalité absolue. Notamment parce que l'entrecroisement des différents destins individuels ainsi que l'enchevêtrement des divers cycles naturels participent à le modifier en permanence.
Aussi le destin individuel dépend-il en grande partie de nombreuses conditions et circonstances extérieures, ce qui amène Wang Chong à une conception subtile du rapport entre liberté et déterminisme. Comme l'explique Marc Kalinowski " Plutôt que d’ériger une opposition absolue entre contingence et fatalisme, entre hasard et nécessité, déterminisme aveugle et liberté d’action, Wang Chong associe le destin et les conditions extérieures en un couple de forces complémentaires qui, à l’intérieur d’une situation donnée, permettent à ceux qui s’y trouvent impliqués de voir leurs destinées s’accomplir. Si le destin est donné une fois pour toutes à la naissance, son déploiement dans le temps s’effectue progressivement, au gré de circonstances et de rencontres fortuites. [...] Si bien qu’un individu au destin faste pourra ne pas connaître la gloire attendue si son existence prend place durant une période de déclin ou s’il ne rencontre pas un destin qui coïncide avec le sien. Ainsi, les hommes se réalisent de façon concomitante mais fortuite, par un phénomène d’attirance et de contagion mutuelles entre les tendances fastes et néfastes de leurs destins réciproques." (in "Destin et Divination chez Wang Chong").
On peut comprendre que la subtilité d'une telle conception (conjuguée à la critique des explications "surnaturelles") ait laissé l'impression d'un penseur hors norme pour son époque. Et de fait, les positions critiques de Wang Chong ont souvent amené les penseurs récents à le considérer comme un rationaliste en avance sur son temps. L'honnêteté intellectuelle force néanmoins à reconnaître que son oeuvre, aussi intéressante et originale soit-elle, n'est pas fondatrice d'une épistémologie au sens moderne du terme. Comme le rappelle Anne Cheng "la pensée [de Wang Chong], même a priori critique, ne fait qu'opérer à l'intérieur du schéma cosmologique préétabli : à l'instar de Dong Zhongshu, dont il ne rate pourtant jamais une occasion d'attaquer les thèses, il croit en l'astrologie, la physiognomonie, aux signes annonciateurs d'événements importants et reprend même sans discussion certaines superstitions de son temps" (in Histoire de la pensée chinoise, Chap. 12, Seuil, 1997, p. 313).
Wang Fuzhi (王夫之, 1619–1692)
Témoin malheureux de la chute de la dynastie Ming, Wang Fuzhi finit par se réfugier dans les montagnes et tirer le Yijing pour savoir comment agir en cette période de trouble. Tombant sur l’hexagramme Guan (regarder), il en déduisit pour sa part qu’il devait se consacrer en ces temps de règne des anciens nomades (les mandchous, fondateurs de la dynastie Qing) à préserver le véritable sens de la civilisation chinoise.
Wang Fuzhi est l’auteur de nombreux ouvrages proposant un système de pensée très dense et très complet. A partir d’une vision englobante du réel passant par une réconciliation permanente des contraires, il met en avant l’idée que la réalité éternelle du qi et l'interaction yin/yang suffisent à expliquer tout le fonctionnement de l'univers.
Il critique notamment les conceptions taoïstes qui font du wu (l’indifférencié) la source de toute chose et les approches bouddhistes qui conçoivent le réel comme une illusion. Il oppose à ces deux visions la réalité éternelle et indestructible du qi 氣, qi conçu comme une énergie universelle et constante (rien ne se perd, rien ne se crée) qui passe par de multiples transformations entre états différenciés et indifférenciés, visibles et invisibles.
Enfin, se démarquant de certains néoconfucianistes (notamment Zhu Xi), Wang Fuzhi considère le principe li 理 non pas comme une origine de l’univers ou un principe supérieur à ce dernier, mais comme son dynamisme même.
Wang Yangming 王陽明 (1472/1529)
Penseur néo-confucianiste influencé par le bouddhisme, Wang Yangming est l'un des premiers à insister sur l'incompatibilité entre la recherche spirituelle et le confucianisme officiel. Cette critique de l'orthodoxie confucianiste d'Etat explique son influence importante sur les lettrés de son époque.
Wang Yangming estime notamment que nous possédons une connaissance innée du bien. D'après lui, notre esprit peut spontanément sympathiser avec l'ensemble des êtres (puis, au-delà, avec l'univers tout entier) et parvenir ainsi à retrouver le "sens de l'humain" cher à Confucius.
Cette approche s'accompagne d'un rejet du savoir institutionnel et de la formation traditionnelle des lettrés. Wang Yangming ne nie pas l'intérêt de l'étude (essentielle dans le confucianisme), mais estime que cette dernière est à chercher en soi-même et n'est de toute façon pas détachable de l'action. Connaissance et action sont deux pratiques consubstantielles : "connaissance et action ne font qu'un". Comme l'explique Anne Cheng, pour cet auteur "connaître la nature humaine consiste d'abord à la mettre en oeuvre, et agir revient surtout à approfondir la connaissance de soi : on peut alors parler de connaissance "authentique" qui, engageant la totalité de l'être, est déjà action" (in Histoire de la pensée chinoise, chap. 20, Seuil, 1997, p. 541).
Wei Boyang 魏伯陽 (IIe siècle apr. J.-C.)
Auteur relativement mystérieux (il n’y a aucune trace de lui dans les documents officiels) auquel la tradition attribue le premier ouvrage connu sur l’alchimie chinoise (l’ouvrage se nomme le cāntóngqì - 參同契).
Wu 無 (l’« il-n’y-a-pas », « non-existence », « indifférencié », « indéterminé »)
Initialement, wu 無 désigne la non-existence. Mais comme la pensée chinoise ancienne et classique ne conçoit pas l’idée d’une création à partir de rien (ex nihilo), le wu n’est pas non plus identifiable au néant. Il est plutôt ce qui est encore indifférencié, sans forme.
Sous l’influence du taoïsme, plusieurs penseurs (Laozi ou Wang Bi notamment) vont jusqu’à lui accorder une consistance, voire une priorité sur son opposé (le you 有: l’ « il y a »). Ainsi conçu, le wu devient ce à partir de quoi seulement il peut y avoir des formes et des êtres (pour reprendre la fameuse formulation de Laozi : « trente rayons convergent au moyeu, Mais c’est justement là où il n’y a rien qu’est l’utilité du char », Daodejing, § 11).
De façon assez paradoxale, le wu devient donc, sous l’orientation taoïste, plus important que toute présence puisqu’il est « ce » sans quoi aucune présence n’est possible : «Il évoque une sorte d’indétermination absolue qui contient en elle la détermination concrète sous toutes ses formes » (Liou Kia-Hway, Bendykt Grympas, Philosophes taoïstes, Gallimard, 1967, p. 636). Le wu est donc ici identifié à un principe métaphysique suprême.
En opposition à cette approche qui donne le primat à l’indifférencié et au vide (voir à xu 虛) sur le différencié et le plein, plusieurs écoles (issues du confucianisme et même du bouddhisme) critiqueront cette façon de transformer l’absence, le rien, en principe métaphysique. Wang Fuzhi (XVIIe siècle), par exemple, estime que les taoïstes considèrent comme non-existant ce qui n’est en fait qu’invisible. Et ils en arrivent ainsi à tort selon lui à hypostasier le rien, la non-existence, à en faire l’origine de toute chose, alors qu’il s’agirait en fait simplement d’un certain état du qi 氣 (qui est pour Wang Fuzhi une énergie constante, éternelle – ni créée ni destructible – qui passe par de multiples états et transformations).
Wu xing 五行 (cinq phases) : voir à école du yin/yang et des cinq phases
Wu-wei 無為, non-agir
Le non-agir est en premier lieu un principe de conduite mis en valeur par le taoïsme (notamment chez Laozi et Zhuangzi). Il repose sur l’idée que la volonté de forcer les choses entraîne son contraire dans la mesure où elle déséquilibre un ordre spontanément harmonieux. Mais, ne pas agir, ce n’est pas non plus ne rien faire. C’est plutôt ne pas chercher à transformer le réel, refuser d’interférer, ne pas intervenir dans le cours des choses tout en l’accompagnant.
Le non-agir est, pour le taoïsme, une façon de remettre en question les artifices de la culture, la fonction des rites, de l’éducation et des institutions, éléments centraux dans le confucianisme. Il a donc pour horizon la perspective d'un retour à notre nature originelle et d’une fusion avec l’ordre du Dao.
Par ailleurs, chez Laozi, le non-agir est également un principe de gouvernance politique. C’est, pour Laozi, le gouvernement qui gouverne le moins qui gouverne le mieux (« En ne promouvant pas les plus capables, on empêche le peuple de se disputer. En ne valorisant pas les choses difficiles à acquérir, on empêche le peuple de se livrer au vol », Dao de jing § 3).
Xiānrén仙人
Le xianren désigne un immortel, un être qui a obtenu l’immortalité physique et dispose de pouvoirs magiques (à noter que le caractère xian 仙est composé des caractères homme 亻et montagne 山).
Terme présent dans l’antiquité, le xianren sera ensuite surtout une notion propre au taoïsme, en devenant l’idéal du taoïsme religieux et ésotérique (voir sur ce point à daoïsme dans le glossaire).
L’immortel est beaucoup représenté dans l’art chinois (souvent avec des plumes). Les lieux de séjour des immortels sont certaines montagnes et forêts ainsi que certaines îles. La littérature taoïste distingue par ailleurs plusieurs types d’immortels, notamment les célestes, les terrestres et ceux qui se séparent de leurs cadavres (cette séparation permettait de justifier l’apparente mort physique d’un immortel – celui-ci laisserait temporairement son cadavre dans le cercueil avant de le récupérer ensuite, ne laissant qu’un objet ou vêtement sur les lieux).
Xie He 谢赫 (VIe siècle)
Auteur connu pour son fameux traité sur la théorie de la peinture (Six principes de la peinture chinoise, 绘画六法, Huìhuà Liùfǎ).
Dans ce traité, il énonce notamment le principe du qiyunshengdong 气韵生动 (qui mot à mot se traduit par : qi = souffle/ yun = résonnance ou rythme/ sheng = vie/ dong = mouvement). L’idée générale qui ressort de ce principe peut être esquissée ainsi : le rythme du qi (du souffle vital) étant le mouvement même de la vie, l’art du peintre authentique consiste à retrouver ce mouvement en ressentant de façon intime le rythme en question : « le véritable peintre entre en communion avec le principe même de la Vie dont il éprouve en lui la pulsation rythmée. Ce rythme se transmet au pinceau, et, sous la touche du peintre, s’éveille le mouvement cosmique » (N. Vandier-Nicolas, La pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, p. 129)
Xing 性
Terme désignant le donné originel et fondamental d’un être (nature d’un être).
L’importance de la culture et de l’éducation pour se conformer à sa nature est plus ou moins mise en valeur ou critiquée selon les auteurs. Il est aussi à noter que le mot est souvent en relation avec le destin (ming 命). Pour plusieurs auteurs, le destin (ming) nous dote d’une nature (xing 性) avec laquelle il nous incombe de coïncider.
Xu 虛
Terme désignant le vide, le caractère xu 虛 est souvent mis en parallèle avec le wu 無 (l’indifférencié, l’il-n’y-a-pas). Chez certains auteurs (Laozi et Wang Bi notamment), il se voit accorder une consistance et une vitalité qui le placent au-dessus du plein. Il y aurait ainsi une plénitude du vide au sens où celui-ci devient la condition de toute chose, « ce » par quoi le souffle vital (qi) jaillit, « ce » à partir de quoi tout être et toute présence peuvent se manifester (sur ce point, voir également à wu 無). Il est à noter que cette perspective d’une « plénitude du vide » inspirée par le taoïsme se retrouve notamment dans la conception de l’art du trait (peinture chinoise et calligraphie chinoise) et, de façon plus générale, dans de nombreux arts chinois.
Sur ce point, voir la balade suivante.
Xu Fu 徐福 (255/ ? av. J.-C.)
Spécialiste des arts magiques (fangshi 方士) qui fut au service du premier empereur de la dynastie Qin de Chine (Qin Shi Huangdi). En 219 et 210 av. J.-C., il aurait été envoyé par l’empereur vers les « mers de l'Est » à la recherche des îles des immortels. Il ne serait jamais revenu du second voyage et aurait en fait abordé au Japon (où sa légende est toujours bien vivante).
Pour plus d'informations, voir la balade n° 10.
Xunzi 荀子 (313-238 av. J.-C)
Héritier de Confucius, notamment connu pour tenir des thèses opposées à celles de Mencius sur la nature humaine.
Contrairement à Mencius, Xunzi refuse de voir dans les actions humaines une continuation directe de la part accordée par le ciel. D’après lui, si le ciel produit les choses, c’est l’homme qui les organise et les ordonne.
A partir de ce postulat, Xunzi en déduit que, loin d’être naturellement disposé à la bonté, l’homme est doté d’une nature « mauvaise ». Ici « mauvaise » (è 惡) signifie que l’homme est naturellement déterminé par les penchants propres à tous les animaux (satisfaire sa faim, se protéger du froid, etc.). Ces passions animales amènent nécessairement les individus à des comportements égoïstes et nuisibles (lutte pour la survie) si rien ne vient les redresser.
C’est ainsi l’éducation qui amène l’homme à développer la bonté. Et la seule véritable disposition naturelle pour le bien réside selon Xunzi dans la faculté d’apprendre.
Aussi Xunzi accorde-t-il une place centrale aux rites qui orientent notre éducation et forgent nos comportements en les dirigeant vers le bien. Les rites, en permettant une juste répartition et une juste hiérarchie, préservent l’ordre et protègent l’homme du retour à la barbarie. C’est d’ailleurs là leur origine et raison d’être selon Xunzi, qui affirme que les rois de l’antiquité ont précisément inventé les rites pour établir un juste équilibre dans le système des besoins et préserver la société du désordre.
NB : Pour plus d'informations sur la question de la nature humaine, voir la balade n° 7.
Glossaire (partie 4) : Y à Z
Yang Zhu 杨朱 (IV. av. J.-C.)
Yang Zhu n'a pas d'ouvrage connu à son nom, mais sa pensée nous a en partie été transmise par les références à sa doctrine dans d'autres ouvrages (notamment dans le Mengzi et dans le Liezi). Sa doctrine est présentée par ses détracteurs comme une forme d'hédonisme résolument égoïste. Mencius dit ainsi de Yang Zhu qu'il ne s'arracherait pas un seul poil même si cela pouvait profiter au reste du monde (Mengzi, VII A 26). A ce titre, Yang Zhu est opposé par la tradition à Mozi (prônant à l'inverse une forme d'amour universel).
Néanmoins, un chapitre du Liezi semble laisser penser que la doctrine de Yang Zhu est plus subtile que la caricature qui en a souvent été faite. Yang Zhu, dans une inspiration taoïste, nous invite à nourrir le principe vital en privilégiant notre nature propre sans nous préoccuper de l'obéissance aux vertus confucéennes. Mais cette forme d'individualisme ne s'affiche pas comme une doctrine immorale et strictement égoïste. Yang Zhu semble plus profondément estimer que le fait de sacrifier notre nature propre au nom des conventions sociales nuit à notre personne sans aucunement aider les autres par ailleurs. De ce fait, plutôt que ce sacrifice inutile, il faudrait selon Yang Zhu que chacun se préoccupe d'abord de soi sans chercher à nuire aux autres et il en résulterait spontanément une sorte d'harmonie commune. En ce sens, il s'agirait en définitive plutôt d'une forme d'utilitarisme (si chacun vise son intérêt propre, cela profite finalement au plus grand nombre) que d'un égoïsme viscéral.
Il est à noter que, curieusement, si Yang Zhu reste un penseur relativement peu connu, il a pourtant fait l'objet de l'une des premières publications en France sur la pensée chinoise. La fameuse exploratrice et spécialiste du bouddhisme Alexandra David-Néel lui a en effet consacré l'un de ses premiers travaux en 1909 (sous le titre : Les théories individualistes dans la philosophie chinoise : Yang Tchou).
Yijing 易經 : le « classique des changements » (souvent traduit par Livre des mutations). Mais l'ouvrage est aussi appelé Mutations des Zhou (Zhouyi 周易), Zhou faisant ici référence à la dynastie du même nom.
Ce petit livre (le texte de base est très court) qui est au départ un manuel de divination a surtout été utilisé, au cours de l'histoire, comme le support de nombreuses spéculations philosophiques, ainsi que comme un manuel d’aide à la prise de décision. Quel que soit son usage, il a en tout cas a été commenté et interprété par la quasi-totalité des auteurs, ce qui lui donne une valeur essentielle au sein de l'histoire de la pensée chinoise et le rend incontournable.
Avant même de parler des origines, de la portée et de la pratique de l'ouvrage, il faut évoquer sa forme unique :
La forme de l'ouvrage
Le Yijing se présente sous la forme d'une suite de 64 hexagrammes (figures à 6 traits superposés) composés uniquement de traits pleins ou continus « ___ » et de traits brisés ou discontinus « _ _ » (avec 6 traits à chaque figure et deux types de trait possible, il ne peut mathématiquement y avoir que 64 combinaisons possibles). Pour mieux se représenter cette configuration originale, il est possible de consulter la liste des hexagrammes ici).
À chaque hexagramme sont rattachées des sentences. Ces sentences comportent des indications sur la nature de l'hexagramme pris dans son intégralité, ainsi que sur les caractéristiques de chacun de ses traits.
Avec la maturation de l'ouvrage, des commentaires (devenus canoniques) se sont aussi ajoutés, fournissant des éclairages sur la portée de chaque hexagramme et de leur trait, ainsi que sur l'enchaînement et l'ordre des hexagrammes (nous revenons plus bas sur les différentes catégories de commentaires).
Ses origines d’après la tradition
Généralement, la formation des hexagrammes (et des trigrammes dont ils sont composés) est attribuée au personnage mythique Fuxi et au roi Wen (père fondateur de la dynastie Zhou). Les sentences globales sont attribuées au roi Wen et les sentences sur chacun des traits au duc de Zhou (fils du roi Wen). Enfin, les commentaires canoniques (aussi appelés "Dix ailes") sont attribués par la tradition à Confucius.
Ses origines d’après les historiens actuels
D’après les découvertes les plus récentes, la rédaction de l'ouvrage s'est effectuée sur plus de six siècles. Elle commence sans doute vers le IXe/VIIIe siècle av. J.-C. et ne s’achève que plusieurs siècles après, en subissant de nombreuses modifications. Dans tous les cas, certains des commentaires canoniques ajoutés au noyau originel du Yijing, et faisant aujourd’hui partie de son contenu permanent, n’ont pas été figés avant le IIe siècle av. J.-C. (début de la dynastie Han).
Le contenu et la portée de l’ouvrage
Les hexagrammes : ils sont donc constitués de traits pleins et continus « ___ » et de traits brisés ou discontinus « _ _ ». Les traits pleins représentent les tendances Yang et les traits brisés symbolisent les tendances Yin (sur le yin/yang, voir à Ecole du yin/yang dans le glossaire).
Mais ces deux formes se subdivisent à leur tour en deux catégories (qui sont invisibles à l'oeil nu, mais déductibles pour celui qui consulte le Yijing) : trait naissant (le yin ou le yang en train de s’affirmer) et trait mutant (c’est-à-dire un yin sur le point de se renverser en yang, ou inversement).
Que décrit l’hexagramme ? chaque hexagramme est censé décrire une certaine configuration de la réalité en mouvement, configuration caractérisée par une combinaison unique de tendances yin/yang (yin et yang n’étant pas à comprendre comme des contraires figés qui s’excluent, mais comme les deux aspects complémentaires d’un même cycle).
Les sentences : Les sentences rattachées à l’hexagramme pris dans son intégralité constituent une description des caractéristiques qui définissent telle ou telle configuration de la dynamique du réel. Et les sentences rattachées à chaque trait décrivent à leur tour un moment du développement de cette situation (chaque trait représentant un moment).
Les commentaires : Traditionnellement appelés les dix ailes, ces commentaires se divisent en plusieurs catégories : Des commentaires sur l'hexagramme pris dans son ensemble, des commentaires sur le nom des hexagrammes et sur l'ordre de leur succession, des commentaires sur les mots du texte des deux premiers hexagrammes, enfin des commentaires indépendants portant sur l'ensemble de l'ouvrage et constituant un traité théorique à part entière (appelé "Grand commentaire"). Il est à noter que le "Grand commentaire" constitue à lui seul un objet de nombreuses spéculations philosophiques.
Portée de l’ouvrage : A travers la combinatoire complète de ses hexagrammes, Le Yijing cherche à décrire l'ensemble des formes et processus à l’œuvre dans l’univers naturel et humain. La connaissance de cette combinatoire enseigne notamment à celui qui consulte l’ouvrage la capacité à trouver l’attitude adéquate face à une situation donnée, à parvenir au « juste milieu » (voir la notion dans le glossaire) dans des circonstances qui sont toujours singulières et évolutives. Comme le souligne Anne Cheng, « Le livre des mutations initie ceux qui le consultent à la science de la centralité à travers une multiplicité de situations » (Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 278).
Mais au-delà de cet enjeu jamais complètement atteint (car les interprétations restent éternellement ouvertes et ne peuvent être figées ou stéréotypées), le Yijing manifeste tout l'intérêt de la pensée chinoise pour ce qui est en germe, en devenir, en train d'advenir et de se transformer, ainsi que la propension de cette pensée à se focaliser sur l’interdépendance complexe entre les différents éléments naturels et les multiples aspects de l’existence humaine. C'est d'ailleurs dans le chapitre 5 du "Grand commentaire" qu'apparaît la fameuse formule "un Yin, un Yang, tel est le Dao" (一陰一陽之謂道) qui consacre l'alternance yin/yang comme le fonctionnement de toute chose, intuition qui servira de socle à l'ensemble de la pensée chinoise.
De même, le Yijing met en exergue la notion de "résonance mutuelle" (Ganying 感應) qui est au coeur de la conception cosmologique ancienne et classique, postulant que chaque événement, phénomène ou action déclenche une impulsion, un stimulus qui reçoit en retour une réponse sur les plans qui correspondent à leur catégorie d'appartenance.
En ce sens, comme le dit Jacques Gernet, « on peut trouver étrange que la tradition philosophique chinoise ait attribué une valeur éminente à un ancien manuel de divination. Mais le Yijing ou Livre des mutations est l’ouvrage le plus vénérable ou s’expriment les notions fondamentales d’alternance et de combinaison, celui qui fournit la première analyse du changement » (« Introduction à la pensée chinoise », in La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, p. XXVII).
La pratique de l’ouvrage :
Le Yijing a vraisemblablement au départ été utilisé comme un manuel de divination. Comme le souligne Anne Cheng, "Bien que l'origine et la composition de ce livre soient sujettes à de multiples controverses, on peut considérer qu'il s'agit en premier lieu d'un système de notation d'actes de divination" (Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 268). C'est en tout cas comme tel qu'il apparait dans les premiers textes l'évoquant, à savoir Le Commentaire de Zuo (zuo zhuan, 左傳) et le guo yu (國語), généralement datés du IVe et Ve siècle av. J.- C.
Il faut rappeler que les actes divinatoires en Chine sont bien antérieurs à la rédaction de cet ouvrage. Durant la dynastie Shang est notamment pratiquée la scapulomancie, c’est-à-dire l’interprétation de craquelures sur les os et les carapaces d’animaux (craquelures produites par un brûlage d'origine humaine).
Mais le Yijjing témoigne de l'introduction d'une nouvelle pratique divinatoire, l'oracle se faisant par le décompte de tiges d'achillées (le "tirage" consistant à déduire l'hexagramme produit par ce décompte). Notons que ce "tirage", loin de se réduire à l'attente passive d'une réponse, implique une véritable interaction entre le questionneur et les signes qu'il souhaite révéler, interaction tant au niveau de la technique d'interrogation (le décompte des tiges d'achillées) qu'au niveau de l'interprétation de l'hexagramme.
Ensuite, le Yijjing a été utilisé comme un support de réflexions philosophiques (nous l'avons dit ci-dessus), usage qui n'est absolument pas incompatible avec l'usage divinatoire dans la tradition chinoise (pour les raisons expliquées ici).
Enfin, ce livre est également utilisé comme un manuel d'aide à la prise de décision. Dans ce cas, le "tirage" (avec les méthodes traditionnelles ou plus modernes) est conçu non comme une interprétation oraculaire, mais plutôt comme une saisie intuitive du sens général de la situation en cours. Pour autant, là encore, il n'y a pas de conflit entre les différentes pratiques possibles du Yijing, qui se font écho plutôt qu'elles ne s'opposent.
Yin/yang 陰陽 : Voir à école du Yin/yang et des cinq phases
Zhang Boduan 張伯端 (983 ?-1081 ?)
Penseur taoïste considéré comme le fondateur de l’École alchimique du Sud (et prônant l’union des trois enseignements : taoïsme, confucianisme, bouddhisme). Auteur du Wuzhenpian (悟真篇) ou Éveil à l’authentique, il s’oriente notamment vers l’ "alchimie interne" (voir à taoïsme pour plus d'informations sur cette notion).
Zhang Zai 張載 (1020-1078)
L’un des principaux initiateurs du néoconfucianisme. Il est notamment connu pour son interprétation de la notion de qi 氣 comme principe unifiant de toute réalité et pour son refus de la thèse bouddhiste du caractère illusoire du réel. En conséquence, il prône également l’action dans le réel, contre le retrait du monde social proposé tant par le bouddhisme que par le taoïsme.
Zhu Xi 朱熹 (1130-1200)
Souvent comparé à Thomas d’Aquin (notamment en raison de son immense travail de synthèse), Zhu Xi est un important contributeur au néoconfucianisme, connu pour ses nombreux commentaires des grands textes classiques (ce qui en a fait un penseur incontournable pour les examens impériaux durant les dynasties suivantes).
Il propose notamment d’articuler la compréhension du monde à partir de la notion li (理) comprise ici comme un principe au sein de chaque chose. Chaque chose possède un « li », un principe qui en fait ce qu’elle est. Par ailleurs, il existe pour Zhu Xi un li suprême (un principe ultime donc) qui englobe tous les li particuliers, li suprême que Zhu Xi identifie à la notion taiji (太極) – généralement traduit par « faîte suprême » (voir à taiji dans le glossaire).
Zhuangzi (aussi écrit Tchouang-tseu), 莊子 (365 ?-285 ? av. J.-C.) :
Avec Laozi, il fut a posteriori considéré par la tradition comme l’un des principaux fondateurs du taoïsme philosophique. Sa biographie est pratiquement vide (même si, contrairement à Laozi, son existence historique est quasi-certaine), mais il est possible d’évoquer quelques idées centrales de son ouvrage éponyme (le Zhuangzi). Précisons que cet ouvrage, au style très riche et particulièrement abouti d’un point de vue littéraire, est d’après les spécialistes une œuvre contenant à la fois des écrits de Zhuangzi (les chapitres dits « internes » 1 à 7) et des écrits dont l’authenticité est plus douteuse (chapitres dits « externes » 8 à 22 et « mixtes », 23 à 33). Comme le souligne Romain Graziani, « la cohérence de la plupart des chapitres pris isolément, pas plus que celle de leur enchaînement, n'est évidente ou même décelable. [...] C'est que le nom lui-même de Tchouang-tseu est tôt devenu l'appellation consensuelle, par défaut, d'un nombre indéterminé de compositeurs et rédacteurs étalés sur plusieurs générations. C'est une main multiple et anonyme. » (in Fictions philosophiques du « Tchouang-tseu », Introduction, p. 19, Gallimard, 2006).
Quelques idées récurrentes dans le Zhuangzi :
D’après le texte du Zhuangzi, la connaissance humaine est conçue comme nécessairement relative et ne peut jamais cerner le Dao, ici compris comme un principe ultime et indicible, une réalité primordiale source de toute chose (voir à dao et daoïsme dans le glossaire).
Ainsi, les mots seraient des conventions pour appréhender les choses, mais elles ne permettraient pas de saisir le sens authentique qui se situe au-delà. Tout simplement parce que les choses décrites et catégorisées par le langage sont une invention au même titre que l’institution des mots (les mots et les choses sont de ce point de vue une invention complémentaire et forment un système autoréférentiel).
Précisons que le Zhuangzi ne refuse pas au langage toute légitimité. Le langage permet une certaine connaissance, mais dans le domaine limité qui est le sien. Celui qui souhaite rejoindre le régime du Dao ne peut en revanche faire l’économie d’une rupture avec le langage, sans quoi il retombe dans le monde limité de l’humain. Le sage qui poursuit le Dao ne se laisse donc pas piéger par le langage humain et ne s'en sert que jusqu'à un certain point pour ensuite aller au-delà du langage.
Cette conception originale du langage et de ses limites explique certainement au moins en partie le style du Zhuangzi. Comme le remarque Romain Graziani, « Le statut discontinu et polyphonique de ce texte s'accorde ainsi sur le fond à ce que nous appellerons par défaut "la pensée de Tchouang-tseu". L'originalité de celle-ci s'est manifestée autant par l'introduction de nouveaux types humains et de nouvelles façons de sentir dans la littérature chinoise que par l'inventivité dans les façons de prendre la parole. Mais l'anecdote, la fable, la parabole ou la fiction de circonstance ne sont pas les parents pauvres de la pensée philosophique. La variété constante dans l'expression est pour Tchouang-tseu la seule façon de donner corps à une critique en règle du langage, de ses catégories, de ses failles, de ses effets de distorsion. » (op. cit., p. 20)
Le sage doit s’unir au Dao en se fondant dans le cours des choses plutôt qu'en tentant de le transformer (on retrouve ici le thème du non-agir, voir à wuwei, 無為). Il doit s’abstenir d’interférer, en laissant de côté l’intention d’apprendre au profit de ce qui s’impose par soi-même (le ziran 自然 – voir dans le glossaire). Ce retour à la spontanéité est illustré dans le Zhuangzi de multiples manières et notamment par la métaphore artisanale. A chaque fois ressort l’idée qu’il faut laisser de côté tout ce qui est de l’ordre de l’éducation strictement théorique (passant par le langage) au profit d’un savoir-faire tacite qui, progressivement, devient comme une seconde nature, comme un instinct acquis.
Ce qu'il reste au-delà du langage et une fois la spontanéité atteinte, c'est un rapport au monde qui n'est figé par aucune certitude. Aucune, pas même celle de l'existence du réel comme le montre le fameux rêve de Zhuangzi qui, un jour, se réveille après avoir rêvé être un papillon et, après réflexion, ne sait plus si c'est lui qui a rêvé de cela ou si c'est à l'inverse le papillon qui a rêvé être Zhuangzi et qui vient de se réveiller.
Devant cette absence totale de certitude, le « saint » (le Shengren, 聖人 – voir dans le glossaire) est celui qui épouse le flux du Dao sans jamais se départir de son détachement. Même la mort doit être comprise comme mouvement naturel du Dao, l'une de ses multiples transformations. Pour cette raison, il n’est plus question d’y voir un événement tragique (ainsi Zhuangzi est-il surpris en train de chanter joyeusement au moment où il devrait porter le deuil de sa femme – Zhuangzi, XVIII).
Zhuangzi nous fait comprendre à force d'anecdotes que la spontanéité et le non-agir ne sont pas conciliables avec l'engagement politique auprès du prince. Ainsi lorsqu'on vient le voir pour lui demander s'il veut être conseiller du roi, Zhouangzi répond par une boutade. Il évoque cette tortue magique qui a été mise à mort en l'honneur du roi alors qu'elle aurait mieux aimé rester anonyme, mais vivante, à trainer dans la boue ; comparant l'honneur qui lui est fait à celui de cette tortue, il finit en affirmant que lui aussi préfère rester loin du roi et traîner dans sa gadoue – Zhuangzi, XVII).
Ziran 自然 : littéralement « de soi-même », « ce qui est ainsi par soi-même », « spontané »
Terme apparaissant pour la première fois dans le Daodejing (attribué par la tradition à Laozi), le ziran renvoie dans le taoïsme au fonctionnement naturel des choses. Il caractérise l’autoproduction et l’auto-organisation de l’univers et Laozi utilise d’ailleurs ce terme pour désigner le Dao.
A partir de cette conception du monde, le taoïsme va alors faire du ziran l’horizon de la conduite humaine. Celui qui se détourne de l’action volontariste, de l’intervention artificielle, de l’interférence, au profit du non-agir (wuwei, voir dans le glossaire) va chercher à s’incorporer au ziran, à retrouver la spontanéité du fonctionnement naturel des choses. Ce principe de conduite valant à la fois au niveau individuel (sur ce point, voir Zhuangzi) et collectif (chez Laozi, le bon gouvernement est celui qui « laisse faire » les choses).