Sur le Bouddhisme en général
Le bouddhisme est un système de pensée et une religion fondée par Siddhartha Gautama Sakyamuni (Inde, VIe av. J.-C. d'après la tradition, Ve selon la majorité des historiens actuels).
Au fondement du cheminement proposé par le bouddhisme, on trouve les « quatre nobles vérités » (catvāri āryasatyāni) qui s’imposent comme un diagnostic accompagné d’un remède (ces "quatre nobles vérités" ou "quatre vérités des nobles" sont l'objet du premier sermon, selon la tradition, de Siddhartha :
- Première vérité : Tout est souffrance (duḥkha). Cette souffrance physique et mentale pouvant à la fois désigner l’imperfection, l’insatisfaction.
- Seconde vérité : cette souffrance a des causes. Elle trouve principalement ses origines dans la taṇhā, que l'on peut traduire par la "soif", "l'avidité", le "désir", c'est-à-dire en fait l'attachement aux choses temporelles. Cet attachement provient lui-même de l'ignorance de la véritable nature des choses et de l'esprit.
- Troisième vérité : il existe un état de santé où, l'ignorance étant abolie, cette soif ne s'exprime plus et ne donne plus naissance aux différentes formes de souffrance. Il y a donc cessation de la souffrance.
- Quatrième vérité : le remède. Pour retrouver cet état de santé, il convient de suivre une Voie, une discipline de vie déclinée en huit "branches" : "l'Octuple Noble Sentier". Cette voie met fin à l'ignorance et au désir. Cet octuple sentier désigne : la compréhension juste, la pensée juste, la parole juste (ces trois premiers buts faisant partie du domaine de la connaissance et de la sagesse), l'action juste, le mode de vie juste, l'effort juste (ces trois buts relevant des pratiques morales), l'attention juste, la concentration juste (ces deux derniers éléments se rapportant à la discipline méditative).
Notons que le suivi de cet octuple sentier implique notre pleine liberté. Pour cette raison, selon la doctrine bouddhiste, le karma (qui désigne nos actions physiques, verbales et mentales) est lié à nos intentions. En ce sens, nos bonnes actions et intentions créent des répercussions positives (comme une graine donnant de bonnes pousses), mais les rétributions néfastes liées à nos actions passées ne nous condamnent jamais définitivement. Il n’y a pas de fatalisme ici. Nous pouvons réagir face aux répercussions de nos actions passées. La loi de rétribution karmique est donc un déterminisme au sein duquel nous avons un rôle à jouer.
Ensuite, en suivant cet « octuple sentier », on peut chasser la confusion et l'illusion pour atteindre l'état d'éveil, l’illumination (le bodhi). Ainsi, la souffrance et le cycle des renaissances (le samsara) seraient brisés. Le but ultime est donc « la délivrance », à la fois de notre ignorance et de notre souffrance (le terme nirvana, difficilement traduisible, désignant tout cela à la fois : fin de l’ignorance, extinction de l’illusion du soi, délivrance, détachement).
Précision sur le cycle des renaissances : si le samsara est un concept en apparence commun à l’hindouisme et au bouddhisme, il ne peut être compris de la même façon, puisque l’originalité du bouddhisme est justement de rejeter l’idée d’un soi, ce qui condamne donc l’hypothèse d’une renaissance véritable du « moi ».
En effet, si toutes les philosophies indiennes reconnaissent que ce n’est pas le corps individuel, ni même notre ego strictement individuel (ahaṃkāra) qui va de renaissance en renaissance, la grande majorité d’entre elles (grands courants orthodoxes de l'hindouisme, ainsi que le jaïnisme et l'ājīvika notamment) estiment qu’il existe en revanche un principe spirituel (une âme) qui subsiste pour assurer la continuité des transmigrations. Ce principe spirituel (ou ce « vrai soi », pour le distinguer de notre ego limité à une existence) est appelé Ātman.
Or, c’est précisément ici que se démarque l’enseignement de Siddhārtha puisque, dès son second sermon selon la tradition, il remet en cause ce « vrai soi », cet Ātman. Ce qui transmigre ne serait pas de l’ordre d’une substance et il n’y aurait aucune permanence du « soi ». Cette doctrine de l’Anātman (absence d’Ātman) va rapidement devenir, dans le cercle des philosophies indiennes de l’époque, la principale marque de fabrique du bouddhisme et l’objet de discussions houleuses.
Ainsi, selon la théorie bouddhiste de l’anātman, l’être humain se réduit à cinq agrégats (skandha) de phénomènes (forme corporelle, sensations, perceptions, idées, conscience). Le Moi est donc une illusion que l’on crée en projetant une unité durable sur ces cinq agrégats. Mais cette illusion tenace perdure à travers le cycle des renaissances. Un continuum psychique perdure à travers le cycle de la transmigration (samsara) tant qu'il reste des traces karmiques et que l’état « d’éveil » n’est pas atteint (moment où l’illusion cesse).
Les différents véhicules :
A partir de ce socle commun, le bouddhisme va connaître des évolutions et se scinder en différents "véhicules"(yāna). Un "véhicule" désigne un ensemble de moyens théoriques et pratiques pour cheminer vers l'éveil (chaque "véhicule" contient de nombreuses écoles).
Il faut aussi noter que ces différentes écoles qui appartenaient au "petit véhicule" (et dont cherchait à se démarquer le Mahāyāna) ont aujourd'hui disparu. Mais comme beaucoup considèrent que la seule héritière actuelle de ces dernières est le Theravāda (école toujours existante qui signifie "parole des anciens"), il est devenu fréquent de voir le Theravāda assimilé au "petit véhicule" (Hīnayāna) dans son ensemble. Historiquement, cette assimilation est abusive dans la mesure où le courant Theravāda est une lointaine ramification des écoles des anciens qui a ensuite connu de nombreuses évolutions.
Les scissions à l'origine de ces différents courants s'expliquent par des querelles de nature à la fois métaphysique, morale et politique. Comme il est impossible de les résumer ici, nous nous contenterons d'insister sur les spécificités du bouddhisme Mahāyāna qui est celui autour duquel vont se développer les écoles chinoises.
Le Mahāyāna se caractérise notamment par le rôle central qu’il accorde à certains concepts (déjà présents dans les écoles des anciens, mais sous une forme différente). Citons les trois plus importants :
La nature de bouddha (Tathāgatagarbha) :
Pour les écoles du Mahāyāna, chaque être possède en lui « la nature de bouddha », un potentiel de futur éveillé. Chaque être, quel qu’il soit peut donc espérer l’éveil parce qu’il possède en lui-même l’embryon, la graine, qui lui permettra d’y parvenir.
C’est sans doute, on le verra, le point le plus important pour expliquer l’engouement en Chine, comme d’ailleurs au Japon, pour le Mahāyāna. L’éveil n’est plus réservé à une élite.
Le Bodhisattva qui désigne dans le bouddhisme du Mahāyāna un être qui se retient d’entrer lui-même dans le nirvana pour aider tous les autres êtres à l’atteindre. En effet, le Mahāyāna conçoit l’éveil comme une possibilité pour tout être vivant. En conséquence, le Bodhisattva accompagne tous les êtres sur le chemin de l’éveil. Notons que, dans la doctrine des anciens, la notion de bodhisattva est déjà présente (notamment dans les récits sur les vies antérieures de Siddhartha, récits appelés les Jātakas). Mais alors que la doctrine des anciens considère que l’on doit d’abord rechercher à devenir un Arhat (un méritant), c’est-à-dire à atteindre la paix du nirvana, avant de pouvoir prétendre sauver les autres êtres (ce qui n’empêche aucunement la compassion envers eux par ailleurs), le Mahāyāna fait pour sa part de l’idéal du bodhisattva l’objectif principal du pratiquant.
La vacuité (Shûnyata) : Concept particulièrement difficile à définir, la vacuité désigne dans le Mahāyāna le fait qu’aucun phénomène (grossier ou subtil) n’a d’existence propre (on dirait dans la philosophie occidentale qu’il n’a pas de substance). Il n’est donc qu’un assemblage ou un agrégat d’éléments transitoires qui s’enchevêtrent et se conditionnent. En effet, les phénomènes étant le résultat d’une interaction de circonstances et de conditions, il n’y a pas de noyau dur du réel, pas d’élément stable qui existe « en soi », c’est-à-dire en dehors de cette interaction de conditions. Tout est donc vacuité au sens où il n’y a pas d’essence objective des choses, tout est en mouvement, en transformation et le réel compris comme un ensemble d’entités matérielles stables n’est qu’illusion. Cela ne signifie pas qu’il n’existe rien (idée du néant occidental) – tentation nihiliste que récuse cette interprétation de la vacuité – mais plutôt que rien n’a de permanence (c’est donc un refus de l’éternalisme et de l’essentialisme).
Précisions sur la notion de vacuité (Shûnyata) : cette notion n'est pas une spécificité du Mahāyāna, mais ce dernier lui donne une extension plus large. En effet, dans les écoles des anciens, toutes reconnaissaient l'absence de "soi" des phénomènes grossiers, mais pas toujours des phénomènes subtils. Par exemple, l'école Sarvāstivāda, aussi appelée Vaibhāṣika, proposait pour sa part un atomisme (affirmant que, si les phénomènes grossiers sont vides, il existe néanmoins des éléments de base de la réalité qui ont une consistance propre). Cette école (aujourd'hui disparue) a initialement joué un rôle important dans la naissance des philosophies indiennes (sur ce point, voir l'ouvrage de Johannes Bronkhorst, Aux origines de la philosophie indienne, Infolio, Gollion, Suisse, 2008).
Sur le bouddhisme chinois
En Chine, le bouddhisme est introduit au cours du Ier siècle ap. J.-C. Les différences culturelles entre l’Inde et la Chine, ainsi que les grandes difficultés de traduction (du sanskrit au chinois classique), ont fait qu’au départ la conception chinoise des thèses bouddhistes s’est fortement mélangée au taoïsme, en dépit de différences importantes entre les deux. Mais à partir des traductions de Kumārajīva (début du Ve siècle) puis du voyage célèbre du moine XuanZang (玄奘, 602-664) parti jusqu’en Inde pour ramener puis traduire le corpus bouddhiste, le bouddhisme chinois parvient à sa maturité et se démarque tout à la fois du taoïsme et du bouddhisme indien pour trouver sa propre spécificité.
Quelques écoles spécifiquement chinoises :
L’école Jinglu (Jinglu 净土) dite école de la terre pure : fondée au Ve/VIe siècle, l’école bouddhiste dite de la terre pure est centrée sur la foi et la dévotion à Amithaba (無量光佛 wúliàngguāng fó), le « Bouddha de l'éternelle lumière » (bouddha qui a comme particularité de refuser d'accéder à l'Éveil avant d’avoir sauvé tous les êtres).
Les pratiques de cette école consistent surtout à prier et réciter le nom d’Amithaba avec pour espérance d’accéder après cette vie au royaume de ce bouddha, la « Terre pure Occidentale de la Béatitude » (Xīfāng jílè shìjiè, 西方極樂世界), qui serait un monde parfait sans souffrance et situé par-delà le cycle des transmigrations (samsara).
L’école Tiantai (天台,Tiāntái) : fondée au VIe siècle, l'école Tiantai insiste sur l’idée que tout homme possède la nature de Bouddha et peut atteindre l’éveil. Elle affirme aussi que cet éveil peut être subit et ne nécessite pas nécessairement de longues pratiques graduelles.
L'école Huayan (華嚴 huáyán) : Fondée au VIe siècle, cette école, comme l’école Tiantai, affirme que tout homme possède la nature de Bouddha et peut atteindre l’éveil sans passer par plusieurs vies d’ascèse. Par ailleurs, elle insiste sur l'harmonie du monde, sur le fait que toutes les parties de l’univers sont reliées les unes aux autres et que tous les phénomènes s'interpénètrent.
L’école Chan (禪) – devenue l’école Zen en japonais
S’il y a eu plusieurs courants du bouddhisme chinois en dehors de l’école chan, cette dernière est certainement l’une des plus originales (même si elle est aujourd’hui bien plus populaire au japon – bouddhisme Zen – qu’en Chine).
Cette école fondée au VIe siècle insiste beaucoup sur l’importance de l'expérience directe de l'Éveil par les méthodes les plus simples possibles, notamment certaines pratiques méditatives (le caractère chan 禪 est d’ailleurs une transcription en chinois classique du sanskrit dhyâna, pratique spirituelle préparatoire souvent désignée par l'expression « méditation silencieuse »).
Au VIIe siècle, une querelle opposa le « chan du Sud » (représenté entre autres par les moines Huìnéng 惠能 et Shen-hui 神會) qui prônait la perspective d’une illumination subite et le « chan du nord » qui estimait qu’il fallait de nombreuses années d’ascèse pour parvenir graduellement à l’éveil. Cette discussion entre « subitistes » et « gradualistes » restera fameuse dans l’histoire de la pensée chinoise.
A partir du IXe siècle, l’école Chan connait une division en deux écoles (encore très présentes au Japon) :
- L’école Linji (connue au japon sous le nom d’école Rinzai) : Cette école du Chan, fondée au IXe siècle et qui tire son nom du moine Línjì Yìxuán 臨済義玄, défend un rejet du culte, des rituels et des discours et propose l'utilisation de méthodes d'« éveil » déconcertantes. Par exemple, Linji tentait de surprendre le disciple au moyen de cris, ou même de coups, afin de briser ses barrières mentales pour l’amener à l’illumination instantanée.
- L'École Caodong (曹洞宗 caodongzong) plus connue aujourd’hui sous son nom japonais (école sōtō) : contrairement à l’école Linji, cette école insiste sur la méditation assise (aujourd’hui surtout connue sous le nom japonais de zazen).