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Confucius et le confucianisme

 

Le temple de Confucius (Pékin)

 

Confucius, kong zi, 孔子 (551-479 av. J.-C. ) 

 

 Une quête inachevée 

Comme Socrate, il n'a rien écrit et nous n'avons de lui que les Entretiens (Lunyu : 論語) qui sont un recueil de propos et d'aphorismes du maître avec ses élèves. Nous savons également qu'il enseigna la plus grande partie de sa vie et tenta de trouver un prince désireux de mettre en place ses conceptions éthiques et politiques.

C'est qu'à l'image de Platon qui fut confronté à la crise de la cité grecque, Confucius vécut lui aussi une période d'instabilité politique, à savoir la période dite des Printemps et Automnes (771 à 481/453 av. J.-C), durant laquelle il y eut plus de 500 conflits entre Etats et 130 guerres civiles...). En ce sens, il s'agissait pour lui de penser le chemin éthique et politique d'une harmonie retrouvée. 

Malheureusement, cette recherche d'un souverain vertueux fut vaine. D'après l'historien Sima Qian (principale source pour sa biographie), Confucius fut nommé ministre de la justice de l’État de Lu vers 499 av. J.-C., à 53 ans. Mais devant le manque d’éthique de son souverain (qui avait délaissé les affaires du royaume pour ses chevaux et ses favorites), il aurait démissionné, avant d'errer de principauté en principauté durant presque 15 ans sans trouver d'homme politique d'envergure prêt à suivre ses conseils.

A soixante ans, il revient dans son pays natal et passe la fin de sa vie à enseigner à ses disciples.   

  

Carte des voyages de Confucius à travers les différents états (source wikipedia)

 

La genèse et la structure des Entretiens (Lunyu : 論語) :

Les Entretiens sont donc la principale source connue sur la pensée de Confucius. La rédaction de l'ouvrage par des disciples (et non par Confucius lui-même) s'étale sur plusieurs siècles (de sa mort en 479 av. J.-C. jusqu’à la fin du IIIe siècle av. J.-C.). Le résultat actuel est une compilation de différents manuscrits opérée par un lettré de la dynastie Han, Zhang Yu (au Ie siècle av. J.-C.) et édité ensuite au 3e siècle de notre ère.

Il est à noter que l'’authenticité de certains chapitres (XIV, XVII et XVIII) est aujourd’hui remise en question. Mais pas l’ensemble, car de nombreux auteurs ayant vécu juste après Confucius citent ses propos de façon convergente. En revanche, il existe un courant critique récent qui envisage la possibilité que le « maître » (qui revient dans chaque dialogue des Entretiens et qui est assimilé à Confucius, dont le nom n’est jamais explicitement cité) ne soit pas uniquement Confucius. Selon cette hypothèse, il y aurait donc eu une école de pensée commune avec plusieurs maîtres.

 

Une fois cela précisé, venons-en à la forme et au contenu des Entretiens. L'ouvrage est assez déroutant au premier abord. Les remarques de Confucius à ses disciples n’obéissent à aucune systématicité, sont toujours circonstanciées et donnent rarement lieu à un énoncé figé. Il y a également beaucoup d’allusions, de suggestions et de nombreuses pensées ne peuvent être interprétées indépendamment du contexte dans lequel elles sont énoncées. Comme le formule Alexis Lavis, « ce qu’il y a de plus étonnant est le caractère non philosophique des Entretiens. Les pensées s’expriment de façon succincte et allusive et leur sens dépend pour beaucoup du contexte et de leur énonciation. Aucun souci de synthèse et d’organisation rationnelle n’a présidé à leur élaboration » (In Confucius et le confucianisme : choix de textes, Introduction, Pocket, Agora, 2011, p. 15)

Cette structure décousue a pu surprendre et même décevoir les lecteurs occidentaux. Le philosophe Hegel, par exemple, affirma au XIXe siècle que le texte de Confucius se réduisait à « une morale commune pleine de redondances » et ajouta abruptement que sa réputation eut été mieux préservée s’il n’avait pas été traduit… (in G. W. F. Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, « La philosophie orientale », Vrin, 2004, p. 165).

Pourtant cette forme décousue n’est pas l’aveu d’un échec, mais témoigne à la fois du souci d’un enseignement vivant et de la conviction selon laquelle l’apprentissage authentique ne peut se réduire à une transmission livresque et strictement théorique. Comme le remarque Cyrille Javary, « Les propos de Confucius ne sont pas insipides, ils sont incitatifs. Interrogé sur une question précise Confucius ne donne pas la solution ; il répond par un propos volontairement décalé dans le but d’enclencher une réflexion personnelle chez son interlocuteur » (Sagesse de Confucius, Eyrolles, 2016, p. 79). 

D'ailleurs Confucius le dit lui-même à sa façon dans les Entretiens« Le Maître dit : Je n'enseigne pas à celui qui ne s'efforce pas de comprendre ; je n'aide pas à parler celui qui ne s'efforce pas d'exprimer sa pensée. Si je soulève un angle de la question et que l'on est incapable de me retourner les trois autres, alors je n'y reviens pas. » (Entretiens, VII, 8). 

Ainsi, il serait dommage de se décourager devant la forme de l'enseignement de Confucius. De plus, en héritiers de la philosophie occidentale, il serait bien curieux de reprocher à Confucius d'avoir inventé sa propre maïeutique... 

Il faut enfin ajouter sur ce point que les traductions ne permettent pas forcément de saisir la force du texte d'origine et notamment ce que Jean Levi appelle sa "charge émotive". Ainsi selon ce sinologue chevronné « Confucius tente de nouer une relation intime et profonde avec autrui, en instaurant un rapport grâce à la charge émotive du langage qui fonctionne alors comme chant ou comme poème. Se déployant sur le plan essentiellement interjectif, il vise à agir sur l’esprit de l’interlocuteur, à produire sur lui un effet incitatif. » (in Confucius, Albin Michel, 2003, p. 99).

 

L'idéal de l’enseignement de Confucius : la restauration de la voie des Zhou et le modèle du junzi 君子

Confucius propose un modèle de civilisation, d’accomplissement pour l’individu, accomplissement qui passe par l’incorporation de la tradition proposée : « Le maître a dit : Je transmets, je n’innove pas. J’ai foi dans l’Antiquité et je la chéris. S’il m’était permis de hasarder une comparaison, je me définirais comme un vieux scribe » (Entretiens, VII. 1).

Ce modèle de civilisation, il le trouve dans la voie des fondateurs de la dynastie Zhou : « La dynastie des Zhou a su s’inspirer des deux dynasties précédentes. Elle est belle, belle, elle est raffinée, ah ! Oui, oui, résolument, j’opte pour les Zhou » (Entretiens, III. 14, trad. Jean Levi). 

Mais plus concrètement, à quoi ressemble se modèle traditionnel d'accomplissement qu'il nous propose de suivre ? 

D’après Confucius, les hommes doivent apprendre à être pleinement humains en devenant des hommes de qualité (junzi 君子). L'homme de qualité (« Junzi », qui veut dire littéralement « fils de seigneur ») désigne initialement en chinois la qualité de l'homme noble. Mais pour Confucius, cette noblesse n'est plus liée au rang ou au sang ; elle dépend de la façon dont l'être humain s'accomplit. Tout le monde peut devenir un homme de qualité ou au contraire se dégrader et devenir un homme de peu. Il s’agit donc de devenir pleinement homme. 

Parmi les dispositions à cultiver pour cheminer vers l’idéal du junzi, il nous faut passer en revue les quatre suivantes qui occupent une place centrale dans les Entretiens ?

->  S’engager pleinement dans l’acte d’apprendre (l’étude)

->  Nourrir le sens de l’humain

-> Cultiver l’esprit rituel et le sens du juste (ces deux dispositions étant interdépendantes).

 

1. S'engager dans l'acte  d'apprendre (, xué) 

Pour tendre vers l’accomplissement de soi, il faut déjà s’y résoudre et le vouloir pleinement (« A quinze ans, je résolus d’apprendre »,Entretiens II. 4). C’est donc parce que Confucius est persuadé que l’homme est perfectible qu’il met l’acte d’apprendre (ou « l’étude ») au centre de sa pensée. Cet acte est d'ailleurs le thème de la première phrase des Entretiens : « Apprendre quelque chose pour pouvoir le vivre à tout moment, n’est-ce pas là source de grand plaisir ? » Entretiens, I.1. 

Mais Confucius ne réduit pas cet acte d'apprendre à l'intégration d'un savoir figé. Apprendre, c’est certes lire des livres (Confucius insiste par exemple sur le livre des Odes – 詩經 Shi Jing), mais c’est aussi et surtout cultiver en soi ce qui nous permet de trouver la bonne mesure d’une situation et nous y ajuster :

« Le maître a dit : on aura beau réciter par coeur les trois cents poèmes du Livre des Odes, à quoi bon en connaître un tel nombre si on en sait pas en interpréter le sens quand ils sont récités à des fins politiques ou bien si, envoyé en ambassade à l’étranger, on se montre incapable de donner la réplique » (Entretiens, XIII. 5 trad. J. Levi).

 Ainsi, comme ce qui est appris est toujours à remettre en contexte, personne ne finit jamais vraiment d’apprendre : « Le maître dit : posséder la connaissance, moi ? Pas du tout ! Que l’homme le plus humble vienne s’enquérir auprès de moi et je me sens comme vide : je m’efforce alors d’aller jusqu’au fond de la question sans en lâcher les deux bouts » (Entretiens, IX, 7, trad. Anne Cheng).

Il n'est à ce titre pas étonnant que Yan Hui, le disciple préféré de Confucius, soit présenté comme le modèle de la soif d’apprendre : « Un homme qui, dès qu’il avait reçu un enseignement utile, le mettait en pratique avec ardeur, c’était Yan Hui » ; « Je l’ai toujours vu progresser, jamais s’arrêter »  (IX. 19 et IX 20. trad. S. Couvreur). 

 

2. Nourrir le sens de l’humain (ren 仁)

La lecture des Entretiens nous révèle qu'apprendre, c'est en premier lieu nourrir "le sens de l'humain", cultiver le "ren" 仁.  

Le ren  , qui peut se traduire par « sens de l'humain », « bonté », humanité » (et même, dans une traduction un peu datée, "vertu"), est la valeur que Confucius place pratiquement au-dessus de tout. Si Confucius se refuse à en donner une définition figée, on comprend à la lecture des Entretiens que ce terme désigne le fait d'entretenir un rapport moral avec autrui et de ne jamais oublier que le moi ne peut se considérer comme une entité séparée des autres. Il est à noter que ren s’écrit avec le radical homme et le signe deux . La composition du caractère est donc révélatrice : l’homme ne devient humain que dans sa relation à autrui.

 

Pour essayer de circonscrire un peu plus ce terme central, disons que le ren est une disposition (à entretenir et cultiver donc) qui nous permet de nous orienter en reconnaissant ce qui est à la mesure de l’homme, ce qui relève pleinement de notre humanité. Il s’agit de développer une certaine sensibilité qui nous permet la bienfaisance à l’égard d’autrui, mais une bienfaisance appropriée, développant le meilleur de ce que les hommes peuvent être et devenir. Pour le formuler encore différemment, c'est une forme de considération envers autrui adaptée aux circonstances. 

Le ren est donc une disposition que tout le monde possède  :

« Le ren est-il inaccessible ? Désire-le avec ferveur et le voici en toi » (Entretiens VII. 29, traduction A. Cheng). 

Mais que tout le monde ne choisit pas de développer et de perfectionner, même s'il en a les moyens : 

« Je n’ai jamais vu que, pour peu que l’on ait décidé de consacrer toutes ses forces au bien (ren), ne serait-ce qu’un seul jour, celles-ci se soient révélées insuffisantes » (Entretiens IV. 6 trad. Jean Lévi)

Par ailleurs, ce perfectionnement du ren reste un idéal vers lequel tendre et non une qualité figée atteignable une fois pour toutes :

« Le maître dit : atteindre le ren ou, à plus forte raison, la sagesse suprême, je ne saurais y prétendre. Tout ce que je puis dire, c’est que j’y tends de toute mon âme, sans me lasser jamais d’enseigner » (Entretiens VII, 34, trad. A. Cheng)

 

Mais cette vertu du ren ne se comprend pas sans sa relation à d'autres dispositions. Ainsi cultiver le ren c'est notamment être guidé en permanence par la mansuétude (shu 恕, que Jean Levi traduit pour sa part par "tact"). Ce terme désigne le fait de ne pas faire à autrui ce que ne l'on ne souhaite pas pour nous. La mansuétude doit donc me permettre de parvenir à un « juste milieu » à l'égard des autres en exigeant d'abord de moi-même.

« A Zigong qui lui demandait s’il n’y avait pas une formule propre à servir de devise tout au long de l’existence, le Maître répondit : Ne serait-ce pas le tact (恕) : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse » ? (Entretiens, XV. 23)

 

3. Cultiver l’esprit rituel et le sens du juste (ces deux dispositions étant interdépendantes).

On ne comprendrait pas non plus l'héritage de la pensée de Confucius, si nous n'insistions pas sur une autre vertu cardinale à ses yeux, à savoir l'esprit rituel (li 禮) : en effet, le sens de l'humain se développant dans le rapport harmonieux et éthique à autrui, il ne va pas sans l'esprit rituel :

A Yan Hui qui l’interrogeait sur le « sens de l’humain » (ren), Confucius répondit : « Vaincre son ego pour se replacer dans le sens des rites c’est là le ren » (Entretiens XII. 1, trad. Anne Cheng)  

Mais attention ! Le rite n'est pas à comprendre comme un simple protocole formel et vide de sens (une politesse de façade), mais plutôt comme un ajustement sincère à l'égard d'autrui. Il s'agit de lutter contre la tendance à l'égocentrisme pour intérioriser par les rites notre sens de l'humanité. Le rite est en effet ce qui caractérise un groupe d'humains en les unissant par un lien symbolique. Il n'est donc pas question d'y adhérer de façon strictement formelle, mais de donner pleinement sens à l'actualisation du rite pour être pleinement humain.

Plus précisément, le rite est une expérience qui transforme l’individu en profondeur et non un cérémonial contraignant n'intervenant que de l'extérieur. Ainsi, que le formule M. Puett « S’il est accompli comme il convient, le rite nous arrache à un monde de relations humaines en instabilité permanente et crée une parenthèse, un espace rituel au sein duquel on peut expérimenter un mode de relations idéal. » (M. Puett, Christine Gross-Loh, La voie, Belfond Pocket, 2017, p. 55).

Le rite est donc un espace transformateur en ce qu'il permet à l'individu de déployer une nouvelle dimension de lui-même dans l'espace-temps suspendu du rituel : « Le rituel, au sens du rite confucéen, est transformateur parce qu’il nous donne accès, pour un court moment, à un autre ressenti de nous-mêmes. Il suscite une réalité alternative de courte durée qui nous rend à notre vie ordinaire légèrement transformés. Pendant quelques instants, nous vivons dans un monde comme si. » (M. Puett, Christine Gross-Loh, La voie, Belfond Pocket, 2017, pp. 53-55)

Et justement parce que le rite sans la sincérité n'a pas de sens, il doit s'accompagner du sens du juste (yi ) face à toute situation. Sans le sens du juste (yi ), le rite (li ) est inapproprié et vide de signification (il devient une parodie, un protocole formel, froid et décalé par rapport au manque d'équité) : « Dans toute cérémonie, mieux vaut l’austérité que l’apparat. Dans celles de deuil, mieux vaut la sincérité dans la douleur que le scrupule dans l’étiquette » (Entretiens, III. 4, trad. A. Cheng).

 

De l'éthique au politique : le rôle du gouvernant 

On ne peut occulter la biographie de Confucius, qui a longuement cherché à un souverain capable d’écouter ses propositions de gouvernance. Cela nous confirme que, derrière l’éthique, il y a donc une forme de projet politique.

En effet, pour Confucius, le gouvernant doit être l'incarnation du ren. Il doit cultiver le « ren » et privilégier l’harmonie rituelle et le sens du juste, deux qualités qui vont moralement obliger le peuple sans le contraindre, plutôt que d’opter pour le seul usage mécanique et froid de la loi (ici, Confucius se distingue par avance de la pensée légiste de Shang Yang 商鞅 et de Han Fei 韓非).

- « Qui gouverne un peuple par l’exemple de sa vertu est comme l’Etoile polaire. Immobile, les autres étoiles gravitent autour d’elle » (Entretiens, II. 1, trad. J. Lévi)

- « Le maître à dit : Guidez le peuple par les règlements, gouvernez-le par les châtiments, et n’aspirant qu’à se soustraire à la sévérité des lois, il perdra toute vergogne ; instruisez-le par la vertu, gouvernez-le par les rites, pénétré du sens de l’honneur, il sera porté naturellement au bien » (Entretiens, II. 3, trad. J. Lévi)

 

Toujours dans sa mission d'incarner le "sens de l'humain", le souverain doit aussi veiller à l'ajustement harmonieux de l'ensemble de l'organisme social. C'est peut-être cela qui doit guider l'interprétation de l'un des passages les plus énigmatiques des Entretiens, celui sur la rectification des noms (zheng ming 正名) : 

« Zilu demanda au Maître : Si le prince de Wei vous confiait les rênes du gouvernement, quel serait votre premier soin ?

– Rectifier les noms, répondit Confucius.

– Vraiment ! Vous vous égarez. Rectifier les noms ! À quoi bon !

– Triple buse ! s’emporta le Maître. Quand on ne sait pas on se tait ! Si les noms ne sont pas corrects, les propos ne seront pas conformes. Si les propos ne sont pas conformes, les affaires ne pourront être réglées. Si les affaires ne peuvent être réglées, les rites et la musique ne pourront fleurir ; les rites et la musique n’étant pas florissants, les châtiments seront injustes ; les châtiments étant injustes, le peuple ne saura plus où mettre ni pieds ni mains. C’est pourquoi le prince attribue des noms qui donnent cohérence aux discours et tient des discours qui ont leur application dans les conduites. Oui, un sage, en ce qui concerne le langage, veille à ne rien employer au hasard ! » (Entretiens, XIII. 3, trad. J. Lévi)

 

Que faut-il comprendre de ce dialogue ? Que si l’art de la désignation est au coeur de l’art de gouverner, c’est parce que l’harmonie entre les êtres et les choses ne peut exister s’il n’y a pas aussi et déjà « adéquation rituelle » entre le nom et la réalité. En d’autres termes, ne pas « désigner » correctement, c’est déjà bafouer la place et la fonction de chaque être et chose. Or, pour Confucius, l’harmonie de l’organisme social passe par le respect de la fonction de chaque organe. Pour bien gouverner, « le souverain doit agir en souverain, le ministre en ministre, le père en père, le fils en fils » (Entretiens XII. 11). Comment chaque organe pourrait-il assumer sa fonction s’il est dès le départ mal désigné...

 

Le rôle des disciples

On ne peut finir sans évoquer le rôle essentiel des disciples. Sans disciples, les Entretiens n’existeraient pas au sens littéral et figuré. Et si Confucius a développé sa propre maïeutique, il n’est pas Socrate et ses disciples ne sont ni Platon (l'élève prenant la place du maître au risque de travestir sa pensée originale) ni les sophistes (jouant le rôle de simple faire-valoir). 

 

En fait, la place centrale des disciples dans les Entretiens valorise à la fois l’importance d'un enseignement original parce qu'interactif et celui le rôle de l’amitié :

-> Le rôle de l'amitié, puisque Confucius considérait ces disciples avec une grande affection, et certains comme ses propres fils (d'après la biographie de Sima Qian, il ne s’est d'ailleurs jamais réellement remis de la mort tragique de Zilu 子路, 480 av. J.-C. et Yan Hui 顏回, 481 av. J.-C.).

-> L'importance de l'enseignement interactif, puisque les disciples ne jouent pas le rôle de faire-valoir. Ils représentent plutôt différences dimensions de la quête de l’homme noble, comme nous le rappelle Jean Levi en évoquant les trois disciples les plus connus : « Zigong, Zilu, Yan Hui sont chacun l’exacerbation d’une des facettes de l’homme de bien. Zilu personnifie la veine héroïque ; Zigong en manifeste la dimension politique, Yan Hui symbolise la quête individuelle de son propre accomplissement » (Jean Levi, Confucius, Albin Michel, 2003, p. 173).

 De Confucius au confucianisme d'Etat : une célébrité malheureuse

Confucius a par la suite trop souvent été confondu avec le confucianisme d’Etat, une idéologie façonnée bien après la mort de Confucius et qui a servi à légitimer le socle institutionnel de l’empire chinois.

C’est sous l’empereur Han Wudi – 汉武帝 (règne : 141-87 av. J.-C.), et, d’après la tradition, sous l’influence directe du lettré Dŏng Zhòngshū 董仲舒 que le confucianisme (Rújiā 儒家, littéralement « école des lettrés ») devient l’école de pensée officielle de l’empire.

L'empereur Wudi

 

A cette époque, le canon confucéen est établi, constitué de quatre livres : Les Entretiens de Confucius et ses disciples (Lunyu 論語), la Grande étude (Daxue 大學) attribué à un disciple Zengzi (曾子), L’invariable milieu (Zhongyong 中庸,) attribué à un disciple Zisi 子思, le Mengzi 孟子(l’oeuvre du penseur du même nom latinisé en Mencius)

A ce canon sont ajoutés cinq ouvrages fixés comme des classiques (les « classiques » - 經 jing - étant des ouvrages dont le contenu est considéré comme permanent et constitue une tradition dont les commentaires s’enrichissent au fil des siècles) :

- Le yi jing (classique des changements plus connus sous le nom de livre des mutations)

- Le Classique des Documents (Shujing 書經) : il s'agit d'un recueil de déclarations et de discours attribués aux souverains de l'Antiquité, depuis les souverains légendaires Yao et Shun jusqu'aux souverains de la dynastie des Zhou occidentaux.

- Le Classique des odes (Shijing 詩經) : c'est un recueil de 305 odes (chants populaires, chants d'amour, complaintes, hymnes, éloges, etc.) composés entre le IXe siècle et le Ve siècle av. J.-C. Cette sélection contient les exemples les plus anciens de poésie chinoise.

- Le Livre des Rites (Liji 禮經) : il traite des rites organisant l'ensemble de la vie sociale, politique et administrative.

- La Chronique des Printemps et des Automnes (Chunqiu 春秋), appelée aussi Les annales de Lu : l'ouvrage est une chronique de la principauté de Lu (dont Confucius était originaire) qui s'étend sur trois siècles (de 722 à 481 avant l'ère chrétienne). Elle évoque des événements politiques, militaires ainsi que des cérémonies et même des phénomènes naturels (astronomiques notamment). Bien qu'écrite dans un langage assez hermétique, cette chronique a fait l'objet de nombreux commentaires dont l'un des plus célèbres est le Zuozhuan 左傳 (premier livre d'histoire en Chine).

 

Cet ensemble de 9 livres (canon confucéen + 5 classiques) va donc former la base de l’enseignement classique chinois et plus tard, le coeur du système des examens impériaux. Tout lettré sera donc à partir de cette "canonisation" officiellement "confucianiste". Mais tout le problème est évidemment, qu'en plus de devenir une idéologie au service du pouvoir officiel, la pensée de Confucius a ainsi été rigidifiée (devenant une scholastique pour les lettrés), alors même que toute sa profondeur tient au départ, on l'a vu, à sa souplesse. 

  

Bibliographie

Le texte original en chinois ancien en ligne (gratuit, avec traduction libre de droit en anglais et en français en plus d’une traduction caractère par caractère) : http://wengu.tartarie.com/wg/wengu.php?l=Lunyu&no=0

 

Les principales traductions des Entretiens en Français

Entretiens de Confucius, seuil, 2004 (1re éd. 1981), Traduction Anne Cheng

Entretiens avec ses disciples, G Flammarion, 1993, Traduction André Lévy

Les Entretiens de Confucius, Gallimard, 1987, traduction de Pierre Ryckmans

Les Entretiens de Confucius et de ses disciples, Albin Michel, 2015, traduction Jean Levi

Philosophies confucianistes, La Pléiade, Gallimard, 2009, traduction Charles Le Blanc et Rémi Mathieu

Confucius et le confucianisme, extraits choisis des Entretiens et des quatre livres du confucianisme, Pocket, 2008, traduction de Séraphin Couvreur

 

Sur la vie et la pensée de Confucius

Christophe Bardyn, Socrate et Confucius, Introduction comparée aux philosophies chinoises et occidentales, Armand Colin, 2020

Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, seuil, 1997, chap. 2.

PierreDo-Dinh, Confucius et l’humanisme chinois, Seuil, 1958.

Yu Dan, Le Bonheur selon Confucius, Belfond, 2009.

René Etiemblé, Confucius de – 551 ? à 1985, Gallimard, 1966 (et 1985 édition augmentée).

Cyrille J.-D. Javary, Sagesse de Confucius, Eyrolles, 2016

Alexis Lavis, L’espace de la pensée chinoise, Oxus, 2010, Chapitres 1 et 2.

Jean Levi, Confucius, Albin Michel, 2003

Rémi Mathieu, Confucius, l’invention de l’humanisme chinois, Médicis-Entrelacs, 2006.

M. Puett, Christine Gross-Loh, La voie, Belfond Pocket, 2017, chap. 3., pp. 45-81

Nicolas Treiber, La Philosophie de Confucius, ESI, 2012

 

Émissions de radio :

Podcasts avec Anne Cheng, Alexis Lavis et Rémi Mathieu : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-confucius-une-philosophie-de-vie

 

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