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Le Yijing

 

Un extrait du Yijing

 

Le Yijing 易經 est le « classique des changements » (souvent traduit par Livre des mutations). Mais l'ouvrage est aussi appelé Mutations des Zhou (Zhouyi 周易), Zhou faisant ici référence à la dynastie du même nom.

Ce petit livre (le texte de base est très court) qui est au départ un manuel de divination a surtout été utilisé, au cours de l'histoire, comme le support de nombreuses spéculations philosophiques, ainsi que comme un manuel d’aide à la prise de décision. Quel que soit son usage, il a en tout cas a été commenté et interprété par la quasi-totalité des auteurs, ce qui lui donne une valeur essentielle au sein de l'histoire de la pensée chinoise et le rend incontournable.

Avant même de parler des origines, de la portée et de la pratique de l'ouvrage, il faut évoquer sa forme unique :

 

La forme de l'ouvrage 

Le Yijing se présente sous la forme d'une suite de 64 hexagrammes (figures à 6 traits superposés) composés uniquement de traits pleins ou continus « ___ » et de traits brisés ou discontinus « _ _ » (avec 6 traits à chaque figure et deux types de trait possible, il ne peut mathématiquement y avoir que 64 combinaisons possibles). Pour mieux se représenter cette configuration originale, il est possible de consulter la liste des hexagrammes ici.

À chaque hexagramme sont rattachées des sentences. Ces sentences comportent des indications sur la nature de l'hexagramme pris dans son intégralité, ainsi que sur les caractéristiques de chacun de ses traits.

Avec la maturation de l'ouvrage, des commentaires (devenus canoniques) se sont aussi ajoutés, fournissant des éclairages sur la portée de chaque hexagramme et de leur trait, ainsi que sur l'enchaînement et l'ordre des hexagrammes (nous revenons plus bas sur les différentes catégories de commentaires).

 

Ses origines d’après la tradition

Généralement, la formation des hexagrammes (et des trigrammes dont ils sont composés) est attribuée au personnage mythique Fuxi et au roi Wen (père fondateur de la dynastie Zhou). Les sentences globales sont attribuées au roi Wen et les sentences sur chacun des traits au duc de Zhou (fils du roi Wen). Enfin, les commentaires canoniques (aussi appelés "Dix ailes") sont attribués par la tradition à Confucius. 

Ses origines d’après les historiens actuels

D’après les découvertes les plus récentes, la rédaction de l'ouvrage s'est effectuée sur plus de six siècles. Elle commence sans doute vers le VIIIe/IXe siècle av. J.-C. et ne s’achève que plusieurs siècles après, en subissant de nombreuses modifications. Dans tous les cas, certains des commentaires canoniques ajoutés au noyau originel du Yijing, et faisant aujourd’hui partie de son contenu permanent, n’ont pas été figés avant le IIe siècle av. J.-C. (début de la dynastie Han).

 

Le contenu et la portée de l’ouvrage 

Les hexagrammes : ils sont donc constitués de traits pleins et continus « ___ » et de traits brisés ou discontinus « _ _ ». Les traits pleins représentent les tendances Yang et les traits brisés symbolisent les tendances Yin (sur le yin/yang, voir à Ecole du yin/yang dans le glossaire).

Mais ces deux formes se subdivisent à leur tour en deux catégories (qui sont invisibles à l'oeil nu, mais déductibles pour celui qui consulte le Yijing) : trait naissant (le yin ou le yang en train de s’affirmer) et trait mutant (c’est-à-dire un yin sur le point de se renverser en yang, ou inversement).

Que décrit l’hexagramme ? chaque hexagramme est censé décrire une certaine configuration de la réalité en mouvement, configuration caractérisée par une combinaison unique de tendances yin/yang (yin et yang n’étant pas à comprendre comme des contraires figés qui s’excluent, mais comme les deux aspects complémentaires d’un même cycle).

Les sentences : Les sentences rattachées à l’hexagramme pris dans son intégralité constituent une description des caractéristiques qui définissent telle ou telle configuration de la dynamique du réel. Et les sentences rattachées à chaque trait décrivent à leur tour un moment du développement de cette situation (chaque trait représentant un moment).

Les commentaires : Traditionnellement appelés les dix ailes, ces commentaires se divisent en plusieurs catégories : Des commentaires sur l'hexagramme pris dans son ensemble, des commentaires sur le nom des hexagrammes et sur l'ordre de leur succession, des commentaires sur les mots du texte des deux premiers hexagrammes (qui occupent une place à part puisque tous les autres hexagrammes sont engendrés à partir d'eux), enfin des commentaires indépendants portant sur l'ensemble de l'ouvrage et constituant un traité théorique à part entière (appelé "Grand commentaire"). Il est à noter que le "Grand commentaire" constitue à lui seul l'objet de nombreuses spéculations philosophiques.

Portée de l’ouvrage : A travers la combinatoire complète de ses hexagrammes, Le Yijing cherche à décrire l'ensemble des formes et processus à l’œuvre dans l’univers naturel et humain. La connaissance de cette combinatoire enseigne notamment à celui qui consulte l’ouvrage la capacité à trouver l’attitude adéquate face à une situation donnée, à parvenir au « juste milieu » (voir la notion dans le glossaire) dans des circonstances qui sont toujours singulières et évolutives. Comme le souligne Anne Cheng, « Le livre des mutations initie ceux qui le consultent à la science de la centralité à travers une multiplicité de situations » (Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 278).

Mais au-delà de cet enjeu jamais complètement atteint (car les interprétations restent éternellement ouvertes et ne peuvent être figées ou stéréotypées), le Yijing manifeste tout l'intérêt de la pensée chinoise pour ce qui est en germe, en devenir, en train d'advenir et de se transformer, ainsi que la propension de cette pensée à se focaliser sur l’interdépendance complexe entre les différents éléments naturels et les multiples aspects de l’existence humaine. C'est d'ailleurs dans le chapitre 5 du "Grand commentaire" qu'apparaît la fameuse formule "un Yin, un Yang, tel est le Dao" (一陰一陽之謂道) qui consacre l'alternance yin/yang comme le fonctionnement de toute chose, intuition qui servira de socle à l'ensemble de la pensée chinoise.  De même, le Yijing met en exergue la notion de "résonance mutuelle" (Ganying 感應) qui est au coeur de la conception cosmologique ancienne et classique, postulant que chaque événement, phénomène ou action déclenche une impulsion, un stimulus qui reçoit en retour une réponse sur les plans qui correspondent à leur catégorie d'appartenance.  

En ce sens, comme le dit Jacques Gernet, « on peut trouver étrange que la tradition philosophique chinoise ait attribué une valeur éminente à un ancien manuel de divination. Mais le Yijing ou Livre des mutations est l’ouvrage le plus vénérable ou s’expriment les notions fondamentales d’alternance et de combinaison, celui qui fournit la première analyse du changement » (« Introduction à la pensée chinoise », in La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, p. XXVII).

 

La pratique de l’ouvrage :

Le Yijing a vraisemblablement au départ été utilisé comme un manuel de divinationComme le souligne Anne Cheng, "Bien que l'origine et la composition de ce livre soient sujettes à de multiples controverses, on peut considérer qu'il s'agit en premier lieu d'un système de notation d'actes de divination" (Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 268). C'est en tout cas comme tel qu'il apparait dans les premiers textes l'évoquant, à savoir Le Commentaire de Zuo (zuo zhuan, 左傳) et le guo yu (國語), généralement datés du IVe et Ve siècle av. J.- C. 

Il faut rappeler que les actes divinatoires en Chine sont bien antérieurs à la rédaction du Yi jing. Durant la dynastie Shang est notamment pratiquée la scapulomancie, c’est-à-dire l’interprétation de craquelures sur les os et les carapaces d’animaux (craquelures produites par un brûlage d'origine humaine).

Mais le Yijjing témoigne de l'introduction d'une nouvelle pratique divinatoire, l'oracle se faisant par le décompte de tiges d'achillées (le "tirage" consistant à déduire l'hexagramme produit par ce décompte). Notons que ce "tirage", loin de se réduire à l'attente passive d'une réponse, implique une véritable interaction entre le questionneur et les signes qu'il souhaite révéler, interaction tant au niveau de la technique d'interrogation (le décompte des tiges d'achillées) qu'au niveau de l'interprétation de l'hexagramme.  

Ensuite, le Yijjing a été utilisé comme un support de réflexions philosophiques (nous l'avons dit ci-dessus), usage qui n'est absolument pas incompatible avec l'usage divinatoire dans la tradition chinoise (pour les raisons expliquées ici). 

Enfin, ce livre est également utilisé comme un manuel d'aide à la prise de décision. Dans ce cas, le "tirage" (avec les méthodes traditionnelles ou plus modernes) est conçu non comme une interprétation oraculaire, mais plutôt comme une saisie intuitive du sens général de la situation en cours. Pour autant, là encore, il n'y a pas de conflit entre les différentes pratiques possibles du Yijing, qui se font écho plutôt qu'elles ne s'opposent.

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